Etonnant qu’une telle période soit aussi peu documentée. Certes, la genèse du rock and roll en France n’a riende très flamboyant et il faudra attendre l’arrivée tardive début 60 des Johnny, Chaussettes noires et autres Chats sauvages pour que le Rock and roll prennent réellement son essor. Il n’empêche que dès 1956 denombreux orchestres de jazz multiplient les tentatives pour imposer le genre en France. Sous leur houlette, le Rock And Roll français des années 50 s’avèrera alors remarquable à bien des égards : inédit avec ses orchestrations insolites (accordéon, clarinette, saxophone, xylophone ), impressionnant du faitde la qualité de ses arrangements, ou surprenant de part ses interprètes décalés (accent régional, timbre devoix délirant).
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Avec à l’époque une quasi-absence d’imports de disques en provenance
des États-Unis, c’est au cours de l’année 1956, par l’entremise du film
Graine de Violence de Richard Brooks (Blackboard Jungle), que les
adolescents européens découvrent le Rock And Roll. Outre une
sulfureuse histoire d’étudiants délinquants juvéniles qui échauffe les
Teenagers, ce film dévoile à son générique la chanson Rock Around The
Clock par Bill Haley and his Comets, et l’éternel solo de guitare de
Dany Cedrone. Première confrontation de la jeunesse française au
phénomène Rock And Roll. Premier flash, et succès immédiat…
Le Blues et la Country, pourtant à l’origine du Rock
And Roll américain, n’auront donc que peu d’incidence sur cette
production musicale française des années 50. Car c’est par le Jazz
que le Rock And Roll va trouver un écho en France, et
d’abord à Paris. Les Rats de Caves de Saint-Germain-des-Près, familiers du Be-Bop et du Boogie, vont plébisciter et s’approprier immédiatement cette nouvelle danse que l’on nomme Rock
And Roll.
Ainsi, de nombreux orchestres de Jazz à l’affût d’un bon coup ne s’y tromperont pas en multipliant les covers et
adaptations de Rock Around The Clock. Les premiers à enregistrer ce
titre (en français Toutes les heures qui sonnent) et à se vanter plus tard d’avoir été « les pionniers du Rock
en France » seront Albert Raisner et son Trio d’Harmonica, et l’orchestre de Jacques Hélian. Mais la première à chanter un succès Rock And Roll bien avant tout ce beau monde fut sans conteste Line Renaud avec Tweelde Dee de Lavern Baker fin 1955.
Ces orchestres d’ambiance, qui s’attaqueront aussi à plusieurs
standards de Rock américains, se contenteront pourtant de textes bâclés, d’orchestrations
tièdes et sans panache, pour des adaptations souvent grossières, dans
l’espoir de faire quelques ventes faciles. À quelques exceptions
près telles que les disques de George Richard ou d’Alix Combelle par
exemple.
On ne s’étonnera pas alors de la réserve des Teenagers de l’époque
qui refusent de s’identifier à ces artistes consensuels et
opportunistes qui ont l’âge de leurs parents.
Mais l’intérêt potentiel de la jeunesse pour ce phénomène va aussi attiser la
convoitise de « l’Intelligentsia Musicale Germanopratine». Ainsi, en
1956, alors que le microsillon vient juste de faire son apparition en
France grâce à Eddie Barclay, qui l’imposera sur les conseils de Quincy
Jones, Henri Salvador grave, sous le nom de Henry Cording and His
Originals Rock and Roll Boys, et avec la complicité de Boris Vian
(alias Vernon Sinclair) pour les paroles et de Michel Legrand (alias
Mig Bike) pour la musique, un premier EP pour brocarder le Rock And
Roll. Ce disque, qui inclut Rock And Roll Mops, Dis-Moi Qu’tu M’aimes Rock,
Va T’faire Cuire Un Œuf Man et Rock Hoquet sort sur Fontana (filiale
de Philips Records), dont Boris Vian est le directeur artistique, tout
d’abord en juillet 1956 sous le nom de Henry Cording
puis en octobre de la même année accompagné d’un dessin censé
représenter Henri Salvador et portant la mention « Henri Salvador alias Henry
Cording and His Originals Rock and Roll Boys ». Une troisième édition verra le jour
en cette même année 1956 . Le texte de présentation écrit au dos du disque par Boris Vian
sous le pseudonyme de Jack K. Netty (clin d’œil à son ami producteur
Jacques Canetti qui le fit débuter au Théâtre des 3 Baudets) ne laisse aucune équivoque quant à l’ambition de l’oeuvre qui se veut un canular :
« Inventé par O. Rock et Jean ROLL en 1827 à l’issue d’une longue nuit
d’orage pendant laquelle onze bouteilles de whisky trouvèrent une mort
glorieuse, le “ROCK AND ROLL” ( intraduisible en français correct ) a
conquis droit de cité en Amérique depuis longtemps. Comme le chewing-
gum, il constitue un exercice excellent pour les mâchoires… » Ce
disque sortira aussi en Italie sur le label Philips, avec la même
pochette, et sera exploité sous la forme de simples 45T ou 78T dans
différents pays sous le nom de « Henry Cording And His Parisian
Rockets », sauf aux USA où « MIG » Bike devient « BIG » Mike, car
nous sommes alors en pleine guerre froide et « MIG » est le nom d’un
avion soviétique
Le ton est donné, le Rock en France sera une farce et le succès
commercial de ce disque d’Henry Cording suscitera bien des vocations.
Jeux de mots foireux en rafale (Peb Rock, Rock Fellair Rock’Aïe,
Requins Drôles, etc.), gaudriole et pseudonymes loufoques (pour
permettre aux géniteurs de ces chansons de conserver l’anonymat, mais
surtout de ne pas subir les foudres des bien-pensants du Jazz)
deviendront trop souvent la signature d’un morceau Rock And Roll « Made in France ». Le Rock alternatif des années 80, puis les groupes de Rock festifs qui perdurent depuis, seront
d’ailleurs autant d’héritiers de cette tradition Rock And Roll gauloise.
Mais la France aura aussi son lot d’artistes géniaux qui vont surnager
et défendre un Rock And Roll premier degré, fidèle à l’esprit des
pionniers américains. Il en va ainsi des plus connus comme Mac Kac,
Moustache, Jack Dieval, Christian Garros, Jean Pierre Sasson, Hubert
Rostaing (qui, sous de nombreux pseudonymes, nous livre de vraies
compositions), mais aussi, en Belgique, de Ferry « Rock » Barendse,
Emile Lambert ou Rockin’ Harry pour ne citer que ces trois-là.
Sous leur houlette, le Rock And Roll français ou francophone des
années 50 s’avère alors remarquable à bien des égards : inédit avec
ses orchestrations insolites ou plus conventionnelles – accordéon
(Verstraëte, Vittenet, Lou Logist), clarinette (Rostaing),saxophone
(Michel de Villers), guitare (JP Sasson), xylophone (Baselli, Geo
Daly) -, impressionnant du fait de la qualité de ses arrangements, ou
surprenant de part ses interprètes décalés (accent régional, timbre
de voix délirant).
La compilation « ROCK ROCK ROCK » exhume quelques pionniers de ce Rock
And Roll à la française et livre un témoignage singulier sur l’un des
pans les plus ignorés de notre musique populaire. So… Rock’
On !!!
DICK RASURELL ET SES BERLURONS : Tu M’as Laissé Tombé
Derrière ces pseudonymes se cachent en réalité quatre fabuleux
musiciens de Jazz : Hubert Rostaing (clarinette), Jean-Pierre Sasson
(guitare & chant), Michel de Villers (sax ténor) et Jerry Mengo
(batterie). Ce superbe morceau provient du 25 cm Ducretet-Thomson
intitulé « Interdit Aux Poids Lourds ».
Rockin’ Harry and his Bros : Faut Pas M’Enerver
Avec au chant Reni-Go. Ce disque est sorti en France sur le label
C.I.D. (sous-marque de Decca Records) et en Belgique sur Omega. Il se
pourrait bien que Rockin’ Harry soit en réalité le compositeur belge
Harry Frekin.
Edmond Taillet : Taillé Dans Le Rock
Sorti en simple et en EP sur VDSM. Chanteur fantaisiste qui fit
partie dans les années 60 de l’émission télévisée de Jean Nohain « Le
Train de la Gaîté ». Il nous délivre ici un titre très enlevé avec un
solo de sax à la King Curtis.
FERRY « ROCK » BARENDSE : Rock and Roll Mops / T’As Le Bonjour d’Alfred
Trompettiste de Jazz d’origine batave, il débute dans les années 40 avec l’orchestre des Ramblers, en même temps qu’un autre musicien qui deviendra célèbre, l’harmoniciste Jean “Toots” Thielemans. Il fut aussi directeur de l’orchestre de Jazz de la R.T.B.F. Sa version de Rock and Roll Mops sortie sur RCA est pour beaucoup supérieure à celle de Henry Cording alias Henri Salvador. L’autre titre semble tout droit sorti du répertoire de Bill Haley !
ANDRE FANDREL : Mademoiselle Rock and Roll
Extrait d’un EP 45T de la marque Astroson, sorti avec deux pochettes
différentes pour la collection « Vedettes et Camping » !!… Chauffe,
André !
Vibraphoniste de Jazz d’origine suisse, son sextette fait très grande
impression lorsqu’il passe à l’Olympia à la fin des années 50. Il est
pendant ces années-là une grande vedette Outre-Rhin, enregistrant pour
la marque Heliodor, distribuée en France par Festival. L’orchestration
de Solid Man, influencée plus par Tony Crombie que par Bill Haley, est
magistrale. Le grand guitariste suisse Pierre Cavalli a longuement collaboré avec Hazy. Au milieu des années 60, ce dernier retourne au Jazz et reste encore très célèbre en Autriche et Allemagne.
CHARLES VERSTRAËTE : Rock Rock
Virtuose de l’accordéon dans la lignée des Gus Viseur, Jo Privat ou
Maurice Vittenet, Charles Verstraëte s’essaie au Rock And Roll à la
sauce accordéon sur cet étonnant Rock Rock. Ce titre avait été créé
par Bob Martin et repris également par Eddie Constantine. Le frère de Verstraëte,
Fernand, trompettiste de grand talent, a lui aussi fait une grande
carrière à la fin des années 50 sous le pseudonyme de Trumpet Boy.
CATHERINE CAPS : C’Est d’Accord OK Tu Gagnes
La voix de la comédienne Catherine Caps et l’orchestration de Jo
Moutet offrent l’une des meilleures versions françaises de All Right Ok
You Win, écrit par le tandem Teddy McRae – Sidney Wyche qui composa
plusieurs titres pour la grande Big Maybelle.
LES SIX TROGNES : Rockabilly
Disque datant de 1957 sur le label Pretoria dont le directeur
artistique de l’époque était François Postif. Aucune information sur
ce groupe musicalement situé entre le Skiffle et le Bastringue.
Rockabilly fut enregistré à l’origine par Guy Mitchell sur Columbia
et par l’orchestre de Dick Jacobs sur Coral. Les Six Trognes signeront
ensuite chez Vogue, où ils enregistrent notamment une solide version
de Green Back Dollar.
L’un des grands disques de Rock And Roll français des années 50 ! Quel
groupe vocal se cache derrière ce pseudonyme ? Les Angels ? Les Blues
Stars, futurs Swingles Singers ?
JESUS RAMIREZ : Rock And Roll
LE disque rarissime par excellence ! Une énigme que ce Jésus-là. Peu de
renseignements concernant Mister Ramirez. Chef d’orchestre et
arrangeur émérite. Au vu de la publicité qu’il se fait au verso du disque dont est
extrait Rock And Roll, la marque Andorra semble lui appartenir,
ainsi que les Editions Rialto à Toulouse. Il existe une autre
pochette de ce disque de couleur bleue. Mais attention, à une ou deux
exceptions près, les autres disques de Jésus Ramirez sont des
enregistrements de succès typiques (Cha-cha, mambo).
AMY ANAHID : Rock c’est un Rock
Femme du compositeur et chef d’orchestre Armand Canfora (Salade de
Fruits). Ce dernier co-signe Rock c’est un Rock avec Mick Micheyl, dont il était le
pianiste à l’époque. Amy Anahid enregistra par la
suite sous son prénom des disques dénués de tout intérêt Rock And
Roll pour RCA. Elle fit aussi quelques apparitions au cours des années
80 dans les émissions de Pascal Sevran.
A la tête d’un orchestre qui reprend dès avril 1958 tous
les grands standards américain Rock And Roll avec un vocal d’enfer,
Georges Richard nous livre cette version très personnelle du succès
d’Elvis Presley. Aucun renseignement concernant les membres de cet
orchestre ni sur Georges Richard lui-même. Fait rare pour l’époque,
ce disque est paru simultanément sur 3 labels français différents
(Symphonium, Orion et sur la Guilde Européenne du Microsillon) avec
sur certains disques la photo de Georges Richard accompagnée de la mention « Rock and Roll ! Le Rythme Qui rend Fou! ».
Taps Miller : Ferme la bouche
Chanteur américain de l’orchestre de Buck Clayton. Ce titre fut donc
enregistré en français phonétique. Il est extrait d’un 78t belge
Ronnex et date du tout début des années 50.
Bernard « Big Joe » ZITOUNE, Juillet 2009