Réédition des très rares premiers enregistrements Electro Punk de Stephan Eicher (1980)
THINK GRAUZONE Meet SUICIDE meet DAF.
Issu d’une K7 tirée à 25 exemplaires en 1980, ces morceaux enregistrés à l’arrache sur un dictaphone et sur du matériel volé, laisse déjà entrevoir le succès que Stephan Eicher connaitra avec son frère l’année suivante et le projet GRAUZONE (Remember leur hit « Eisbar » )
Bref, synthé Chetifs, chant habité, et boites à rythme au supplice….découvrez le côté obscur de Stephan Eicher !
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Münchenbuchsee, banlieue de Bern, Suisse. Stephan Eicher est le cadet d’une famille de 3 enfants. Le père, réparateur en radio-télévision, est aussi violoniste de jazz et bidouilleur sonore à ses heures perdues. Dans l’abri atomique de la maison familiale reconverti en studio pour l’occasion, monsieur Eicher déglingue des séquenceurs maison, torture des boîtes à rythmes artisanales et violente des magnétos à bandes sous l’œil émerveillé du petit Stephan.
Le jeune homme développe donc rapidement sa curiosité musicale en multipliant les expériences et déambulations sonores. Avec son petit frère Martin notamment, Stephan bricole sur un multipiste made in Eicher (plusieurs lecteurs K7 montés en série !) de petites pièces de théâtre sonores qu’ils écrivent, enregistrent, bruitent et interprètent pour les diffuser à leurs proches. De gentils petits gars en somme…..
Il faut donc attendre 1972 que Lou Reed sorte son album Transformer pour que la progéniture Eicher bascule. Pour Stephan (13 ans), c’est la révélation, et « Vicious » (le titre qui ouvre l’album) squatte sa platine pendant de longs mois. Il convainc alors son père de lui offrir une guitare électrique. Dans la foulée, ce dernier ne résiste également pas à l’envie de lui fabriquer un ampli à lampes en détournant de son usage premier une ancienne radio.
Puis vient l’adolescence. Difficile. Stephan quitte la maison à 16 ans et part s’installer à Zurich. Lui qui présente de réelles prédispositions artistiques incite sa prof de dessin à le pistonner pour entrer – en dépit de son jeune âge – à l’école F+F, version alternative et radicale des Beaux-Arts. Reçu, il se familiarise avec les techniques vidéo, bien décidé à devenir cinéaste.
A F+F, Stephan organise des happenings et concerts Dada avec une petite troupe de potes baptisée Noise Boys. Au sein de la bande se trouve un des profs de Stephan, à la basse ; Veit Stauffer, à la batterie, qui fondera plus tard le label Recommanded Records (Rec Rec) ; sa copine Sacha, au chant, et lui à la guitare. Lors de l’une de leurs premières performances, ils mettent au point une souris télécommandée recouverte de lames de rasoir émoussées qu’ils lancent dans le public pour susciter la panique et le chaos. Toujours dans cette dynamique d’agression et de violence, Ils se produisent aussi en concert avec, sur les oreilles, des casques diffusant Tristan et Iseult, tout en essayant de jouer leurs morceaux, dans un souci d’optimiser la cacophonie. L’idée est à chaque fois de vider la salle. Ces morceaux, si le terme « morceaux » a un sens, sont à l’avenant. Ainsi en est-il d’«Hungeriges Afrika », joué exclusivement avec des perceuses et quelques feedbacks de batterie.
Parce qu’il faut bien manger, Stephan retourne les week-ends à Bern où il a trouvé un petit boulot de serveur au Spex Club, la salle punk de la ville. Le 16 Septembre 1980, soir de concert où joue Starter, groupe proto-electro, la police fait une descente et embarque tout le monde. Stephan, qui a échappé à la rafle, saisit l’opportunité pour « emprunter incognito » le matos des Starter resté sur place. Il se retrouve ainsi avec, à disposition, un clavier Roland Promars, un Korg MS20 et une sublime CR78 Beat Box qu’il fait passer dans une pédale de distorsion Big Muff pour avoir le son crado qui va bien.
Il tente alors de reproduire seul quelques titres du répertoire des Noise Boys, qu’il se réapproprie au gré de délires enregistrés sur un dictaphone (oui, un dictaphone, vous comprenez mieux désormais le son cheap des morceaux, n’est-ce pas ?). Il baptise ensuite ironiquement la K7 issue de cette session improvisée Stephan Eicher spielt Noise Boys. Cette merveille comporte sept morceaux qui sont ceux que vous retrouvez ici réédités.
De retour sur Zurich, il file voir ses amis Andrew Moore et Robert Vogel, qui ont un plan duplication de K7. Ils tirent ainsi 25 copies de Stephan Eicher spielt Noise Boys pour lui et ses potes. Robert Vogel lui suggère tout de même de rendre visite à son copain Urs Steiger d’Off Course Records pour lui faire écouter le bijou.
Sans grande conviction, Stephan se rend donc au bureau d’Urs qui, immédiatement séduit, lui propose de sortir un 45 tours. Par manque de place sur le disque, tous deux se résignent à sacrifier deux titres sur les sept enregistrés (« Hungeriges Afrika » et « One Second »). Quant à la partition qui illustre la pochette, celle-ci a été piquée au hasard et n’a toujours pas livré son secret. Avis aux érudits qui savent lire la musique !
Le 45 tours, pressé à 750 exemplaires, sort la première semaine de décembre 1980 – Stephan s’en souvient car c’est cette même semaine qu’a été tué John Lennon. Urs, bien avisé, en envoie un exemplaire promotionnel à Francois Murner, le « John Peel Suisse », chez Sounds, radio alternative. Ce dernier s’éprend immédiatement du disque et commence à le diffuser. Stephan découvre alors, étonné, que les ventes suivent et que sa musique peut intéresser du monde.
Cette reconnaissance, tout underground qu’elle puisse être, effraie Stephan Eicher qui arrête pendant un an la musique et part pour Bologne comme programmateur à Radio Citta, une radio féministe.
De son côté, le petit frère de Stephan, Martin, qui fréquente aussi le milieu punk, rejoint au chant et à la guitare le groupe Glueams, éponyme du fanzine qu’éditent deux des membres du groupe (le batteur, Marco Repetto, et le bassiste, GT). Pour entériner ce changement de line up, Glueams se rebaptise Grauzone et Stephan est convié lors des concerts du frangin à venir balancer sur scène des images bidouillées en super 8.
Urs Steiger d’Off Course, qui travaille par ailleurs sur son projet de compil Swiss Wave The Album, demande à Grauzone d’y participer aux côtés de Liliput, Jack and the Rippers, the Sick et Ladyshave (Automne 1980).
Pour les besoins du disque, Martin charge son frère de conduire les sessions d’enregistrement. Sous la direction artistique de Stephan, deux titres, « Raum » et « Eisbär », voient ainsi le jour. Pendant l’enregistrement d’« Eisbär », Martin joue une ligne de basse minimale empruntée au groupe post punk Feelies (corde jouée à vide). Le batteur Marco Repetto rame et peine à tenir le rythme. Le soir venu, Stephan, mécontent des prises, se résigne à fabriquer une boucle de batterie de quatre mesures avec une bande magnétique ¼ de pouce qu’il passe en loop, en lieu et place de la boiteuse prise initiale. Il ne lui reste plus qu’à étoffer le morceau de bip-bip et de bruits de vent pour parachever l’ambiance antarctique et remettre les bandes à Urs. La compil Swiss Wave The Album sort d’abord timidement, puis les choses s’accélèrent grâce au morceau « Eisbär » avant de devenir le raz-de-marée que l’on sait avec ses 600 000 singles vendus.
Stephan joue alors dans le groupe rockabilly SMUV (nom de la sécurité sociale suisse) et commence à produire quelques artistes dont le premier album de Starter (1981), album d’electro pop ou figure une version popisée de « Minijupe ».
Début 82, Stephan se met à traîner régulièrement avec le groupe de filles post-punk Liliput (ex Kleenex). Elles sont plus âgées que lui et il est ravi de pouvoir mettre à leur disposition sa Renault Major, et leur servir ainsi de roadie.
En 1983, Grauzone, dont la signature chez la major EMI a été une erreur, est déjà moribond, et Stephan amorce gentiment son virage variété avec un premier album, Les Chansons bleues, mais tout cela est déjà une autre histoire…