Ce volume 2 de la compilation Des Jeunes Gens Mödernes poursuit le travail de pop-archéologie contemporaine entrepris en 2007 / 2008 – avec l’exposition à la galerie du jour agnès b., le catalogue et la première compilation éponymes – autour de la scène post punk / cold & synth wave qui a agité l’underground hexagonal au tournant des années 70 et 80. Travail qui, par ailleurs, fut aussi prolongé entre temps par un documentaire, également éponyme, réalisé sur la base des entretiens menés dans le cadre de la préparation de l’exposition de 2008.*
Pour ce qui est de cette nouvelle compilation, ce travail a consisté à creuser toujours plus profondément le sillon des recherches précédentes, afin d’exhumer des morceaux rares – dont les pressages originaux sont aujourd’hui devenus introuvables ou s’arrachent à prix d’or dans les conventions de disques et sur les sites de vente spécialisés -, mais aussi d’extraire du creuset créatif des 80’s frenchy (but chic !) – qui semble décidément intarissable – des titres d’époque restés totalement inédits à ce jour, et de les rendre enfin accessibles au public, plus de trente ans après leur création pour la plupart d’entre eux. Ainsi, sur les treize titres que compte le track listing de ce volume 2, six sont totalement inédits.
Tant qu’on est dans les chiffres, notons qu’on retrouve par ailleurs sur ce disque cinq des groupes qui étaient déjà présents sur la première compilation, et que sur les treize groupes réunis dans ce volume 2, seuls trois sont parisiens – statistiques qui trahissent probablement une forme d’obsession pour certaines formations jugées particulièrement emblématiques de l’esprit et du son des Jeunes Gens Mödernes d’une part, ainsi, d’autre part, qu’une volonté de retranscrire le plus fidèlement possible ce que fut cette mouvance, c’est-à-dire, du point de vue de ses origines géographiques et si l’on raisonne en termes de nombres de groupes créés et de volume de productions, un phénomène essentiellement provincial – et ce même s’il a pu par ailleurs être qualifié de parisianiste par certains. Accessoirement, on dénombre aussi trois groupes toulousains parmi ces groupes de province ; ce qui, bien qu’étant moi-même originaire de Toulouse, ne me semble pourtant pas devoir être interprété comme une forme de chauvinisme musical, mais plutôt comme le reflet du fait que la proximité d’une scène spécifique, les connexions de longue date avec l’underground local et les réseaux basés sur l’amitié et la communauté de centres d’intérêt rendent forcément plus aisé l’accès à certaines pépites sonores remisées depuis belle lurette aux archives, voire aux oubliettes.
Du point de vue musical, la sélection des titres de ce volume 2 se veut moins généraliste et éclectique que celle de la première compilation, l’objectif n’étant plus ce coup-ci de rendre compte, de la manière la plus représentative possible, du point de vue stylistique, de la diversité créative de l’époque, mais plutôt de suivre une inclinaison plus subjective, davantage axée sur un courant qu’on pourrait qualifier d’electro pop / minimal synth qui a émergé au sein de la cold wave française de ces années-là, et dont on perçoit encore les échos dans de nombreuses productions actuelles.
J’espère que vous prendrez autant de plaisir à écouter cette compilation que j’en ai éprouvé à l’élaborer!…
Jean-François Sanz, février 2015.
* « Des Jeunes Gens Mödernes // post punk, cold wave & culture novö en France // 1978 – 1983 » – long métrage documentaire réalisé par Jean-François Sanz, coécrit et monté avec Farid Lozès, 2014 – sortie DVD prévue chez UFO en juin 2015.
A 1 – ADN’Ckrystall – Mini romance //
Créé en 1977 aux Beaux-Arts de Toulouse, à l’initiative d’Erick Moncollin, ADN’Ckrystall est
considéré comme le premier combo électronique toulousain. Sa musique synthétique, à la fois pop et expérimentale, teintée de psychédélisme et de poésie sombre (il la décrit lui-même comme « le rock noir des étoiles »), se situe dans la mouvance cold & new wave, et son premier album Jazz’Mad est aujourd’hui considéré comme l’un des 50 meilleurs albums de musique synthétique.
Très inspiré par le Krautrock allemand, mais aussi par la new wave de l’époque : Gary Newman, Tubeway Army ou Simple Minds, il écoute également beaucoup Brian Eno, Hawkwind, Heldon, Magma, Gong… Ce tarbais d’origine passe plusieurs années en Allemagne, puis 3 à Paris. A partir de 1977, il consacre son temps à l’expérimentation électronique, jammant à l’occasion avec Vangelis et Tim Blake. Il finit par obtenir un prototype de ce qui ne va pas tarder à devenir le Korg MS-20. Cela donnera Jazz Mad, opus radical et maitrisé, sur lequel les boites à rythme et les synthés sont poussés dans leurs derniers retranchements – réalisé en à peine quatre jours : trois pour les prises de son et un seul pour le mixage.
Erickrystall, « maître du bruit blanc » comme le décrit Gill Dougherty, est également actif sous d’autres patronymes, dont celui de Dr. Strange, sous lequel il produit une musique beaucoup plus planante et atmosphérique. A l’occasion, il ne rechigne pas à collaborer à des projets d’installation multimédia, créant des environnements interactifs associant éléments sonores et projections vidéo, et renouant ainsi avec sa formation initiale de plasticien.
« Mini romance » a été composé et enregistré en 1984 / 1985 sur un Tascam 2×2 à cassette. Instrument utilisé: CRB Diamond 742 Organ (datant de 1967 !)
« A l’époque où j’ai fait « Mini romance », j’écoutais beaucoup Jacno, Snatch, Xex, Lizzy Mercier Descloux et le premier album des Honeymoon Killers. D’ou les influences flagrantes qu’on retrouve dans le morceau… Les paroles sont faussement simplistes et relativement universelles. Ca parle d’amour et chacun peut y re/trouver une de ses histoires, son mystère et sa mélancolie. Ce titre, inédit jusqu’ici, fait partie d une série de 5 ou 6 tracks prévus pour un album qui aurait dû sortir en 1988, mais est resté en archives… »
A 2 – X Ray Pop – La machine à Rêver //
« Nous sommes en mars 1984 et membres depuis 4 ans du groupe növorock Bocal 5 quand nous décidons d’oser une expérience à deux et, dans la foulée, d’enregistrer un single en hommage à nos cochons d’inde favoris qui viennent de décéder!!! La mélancolie est donc de mise, l’intimité aussi, à travers le prisme d’un concept qui me titille depuis deux ans déjà : « le minimum naïf ». En ce milieu de la décennie 80, la new wave s’essouffle, les suiveurs sont légion, les plagiats et copies monnaie courante ; il est donc temps de faire autre chose, de laisser tomber les habits noirs pour reprendre des chemises à fleurs excessives et colorées, d’envisager la deuxième moitié des eighties pour ce qu’elles seront au niveau anglo-saxon: un növo psychédélisme plongé dans l’électronique. Pour devenir minimal et naïf nous optons pour le jouet d’enfant ( le casio PT20) et nous nous obligeons à n’utiliser que 4 pistes afin de ne surtout pas être tentés par des arrangements potentiellement trop sophistiqués. Ainsi nait « La machine à rêver » sous les yeux et les mains de l’ingé son Jean-François Jacquemin – qui depuis clame partout que les deux titres du premier single d’ X Ray furent enregistrés et mixés en moins de deux heures, installation comprise, et donc, l’affaire la moins rentable de toute sa carrière !… »
Didier Doc Pilot, novembre 2014.
A 3 – Elli & Jacno – Les tarots //
Après l’aventure Stinky Toys, qui les avait propulsés sur l’affiche du premier festival estampillé « punk » à Londres dès septembre 1976, et (accessoirement ?) au Panthéon du punk français, Elli Medeiros et Denis Quilliard, alias Jacno, forment en 1980 le duo Elli & Jacno. Une sorte de Sony & Cher synthétique, avec une dose de glamour néo-yéyé à la Hardy / Dutronc, le tout « mis en scène » comme une version proto électronique du cinéma Nouvelle vague – Elli décrit d’ailleurs le duo comme un concept inspiré par une démarche cinématographique, dans lequel elle serait le réalisateur, et Jacno le scénariste. Yves Adrien voit en eux la personnification d’une résurgence du phénomène mod, au cœur de l’underground parisien, vingt ans avant l’an 2000. Ils fabriquent la « musique du futur » de l’époque, le regard rivé sur l’esthétique sixtie’s qui se reflète dans le rétroviseur de leur scooter. En à peine quatre ans, ils produiront six singles et trois albums au fil desquels ils imposent avec succès une électro-pop ravageuse, à la fois minimale et accessible, pop et abstraite, souriante et mélancolique. Le genre de morceaux dont le riff de synthé ou le refrain peut vous rester dans l’oreille pendant plusieurs jours après une unique écoute, même distraite. « Les tarots » est un morceau issu de la bande originale du film d’Eric Rohmer, « Les nuits de la pleine lune » (1984), dans lequel il est utilisé en son direct, appuyé ça et là par les claquements de doigts nerveux d’un Fabrice Luchini en pleine parade amoureuse, dans une des scènes de fête les plus « mythiques » – et les moins naturalistes – du cinéma français. On y voit Elli qui danse avec Pascale Augier, autre jeune fille éminemment möderne qui tient le rôle principal du film. Elli avait invité tous ses potes pour servir de figurants à cette fausse fête – qui dégénéra en vraie fiesta dès le tournage terminé –, et Pascale avait quant à elle fait connaître Rectangle à Rohmer, qui en était fan et qui y voyait une sorte de « menuet électrique » ; d’où la collaboration sur la BO des « Nuits de la pleine lune » – malgré le peut d’attrait de Jacno au départ pour les cinéastes de la Nouvelle vague, qu’il trouvait globalement chiants, et la méfiance qu’éprouvait par ailleurs Rohmer concernant l’usage de la musique dans les films. Paru la même année que le film, en 1984 – de même que le « Je suis déjà parti » de Taxi Girl… -, l’album / BO «Les Nuits de la pleine lune » – hélas jamais réédité à ce jour -, annonçait la fin du duo / couple que formaient Elli et Jacno, mais aussi celle de la parenthèse (dés)enchantée des jeunes gens modernes.
Sources: Pierre Mikaïloff – « Jacno, l’amoureux solitaire » / Jean-Marie pottier«Les Nuits de la pleine lune», étoile filante de la pop française »
A 4 – Les Fils de joie – Les plaisirs chers
Actifs de 1979 à 1985, Les Fils de Joie furent un des groupes pionniers de la scène new wave toulousaine. Fondé par Olivier Hébert-Blin en 1979, le groupe était à l’origine un trio de lycéens (Guitare-Basse-Batterie), avant de s’adjoindre un clavier puis un saxo. Les membres originaux du groupe avaient tous adopté le pseudo / nom de famille “de Joie” à l’instar des Ramones : Olivier de Joie (Olivier Hebert): chanteur et guitariste, grand fan des Ramones – Chris de Joie (Christophe Bonnebouche): bassiste punk puis clavier “costellien” à partir de 1981 – Alain de Joie (Alain Gérard) : batteur-cogneur et pilier technique du groupe, remplacé par Dorian Chaillou en 1984 – Daniel de Joie (Daniel Costa) : bassiste à partir de 1981, grand fan du groupe “The Jam” et de musique noire, il fut également à l’origine de l’influence rhythm & blues du groupe – Christophe Jouxtel : saxophoniste et peintre, ami du groupe, Christophe participa aux enregistrements et à quelques concerts. En 1984, il fût remplacé par Marc Gourmelen, saxophoniste et dandy-Breton – et enfin Pascal Jouxtel : ami du groupe, co-auteur des textes avec Olivier, frère de Christophe, il a également participé à quelques enregistrements (chœurs).
Leur musique, post punk plutôt classique à l’origine, évolue rapidement vers des sons plus chauds en intégrant des influences rhythm & blues ou ska. Les textes en français sont souvent cyniques ou satyriques, toujours ironiques, et expriment une forme de désillusion. Ils reflètent la réalité des années 80, vécues comme une époque sans idéal et sans repère à la fin de la guerre-froide.
Les Fils de Joie enregistreront trois 45 tours. Le premier est la version auto-produite d’ “Adieu Paris”, rééditée sur la première compilation Des Jeunes Gens Mödernes en 2008, morceau culte qui les fait connaitre en 1982, notamment par le biais des radios libres qui le diffusent massivement et en font très vite un « tube » (underground. Puis deux autres 45 tours, chez Philips-Phonogram : “Tonton Macoute” (produit par Jello, ex Starshooter), avec “Havana Affair” (reprise des Ramones) et “Voici le jour” en face B, puis une nouvelle version d’ “Adieu Paris”, produite par Franck Darcel (ex Marquis de Sade), avec “J’appelle par delà les mers” en face B. Trois autres titres figurent sur la première compilation Ephémere (éditée par la radio libre toulousaine FMR en 1983): “Le Requin vert”, une reprise live de “Green onions” (de Booker T.) et “Les plaisirs chers”. C’est ce dernier titre qui a été choisi pour figurer sur ce volume 2 de la compilation Des Jeunes Gens Mödernes. Il met en scène une certaine Pat, personnage de jeune mannequin inspiré par une connaissance du groupe, archétype de la bourgeoisie et de la pseudo jet set provinciale de l’époque, libérée mais aussi futile et opportuniste. Ce morceau fait partie, avec « Seul à Noël » et « Harry et sa Ferrari », d’un triptyque racontant une seule et même histoire, sorte de triangle amoureux qui vire à la tragédie, dans lequel on retrouve la fameuse Pat ainsi que deux personnages masculins, Harry et le pauvre Albert – dont le suicide est évoqué comme conclusion de la narration dans « Les plaisirs chers ». Fidèles à un procédé récurrent qui est vite devenu leur marque de fabrique, les Fils de joie instaurent à travers ce morceau une tension diffuse basée sur un paradoxe subtil – car il ne se révèle qu’à l’occasion d’une écoute attentive -, entre une mélodie pop entrainante, plutôt légère, et des paroles cyniques et désespérées.
A 5 – Les Stagiaires – Airport
A partir de 1977, le ressac post punk heurte de plein fouet le chef lieu de l’Aquitaine, et les Stagiaires font partie de cette vague de groupes bordelais dits « en ST » (en hommage aux Stooges, selon la légende…) qui déferlera jusqu’au milieu des années 80, à savoir Strychnine, Stilletos, Stalag, Standards, Stillers, STO… Les Stagiaires, un nom rudement bien choisi pour un groupe formé par cinq étudiants en école de commerce qui publieront entre 1982 et 1984 un 45 tours et un album sur le label Tropical Production , édités respectivement à 2000 et 1000 copies Le morceau « Airport », face B de leur 45 tours choisie pour figurer sur cette compilation, est assez représentatif de leur musique : un post punk de facture relativement classique, mais dont la singularité est de parvenir à un rendu à la fois pop et tranchant comme la lame d’un rasoir, avec sa rythmique soutenue, ses riffs de guitare acérés et lancinants, et son refrain entêtant, soutenu ça et là par quelque gimmick minimal joué à un doigt sur un synthé analogique. Le texte évoque des thématiques propres à la modernité de l’époque : les aéroports, une version consumériste du glamour sur fonds de souvenirs de guerre froide, les débuts de l’internationalisation des échanges et de la mondialisation, le « clash occidental »… A noter : le groupe s’est appelé les Valstar Lovers (sic !) à ses tout débuts, puis Les Mongols (re-sic !) à partir de 1984. Il fut actif de 1979 à 1984 et fit plus de 400 concerts, « dont une traversée dans Paris où ils jouaient sur un camion plateau avec un groupe électrogène, et un concert pour M. Blanfranquard ,à la maison de la Radio et Télévision Française de l’époque. » (Dixit leur manager de l’époque)
A 6 – Medikao – WC Boy *
Paroles WC BOY
« L histoire se situe là/ Où l on y prend gout / parfum d’ ammoniaque / subtil clair-obscur / graffitis entremelés / « Jean Genet is for the gay »
Un garçon se trouve là / Le jean un peu trop serré / La braguette entr’ouverte / Une main s’y glisse / Avec force et envie / « j ai envie, tu sais »
Refrain
Je te tâte et tu me tâtes/ Et c est bien mieux parce qu’on est deux / Deux garçons qui s’aiment / Je te frappe et tu me frappes / Et c’est bien mieux parce qu’on est deux / Deux garçons qui se baisent
You let me / You let me / You let me in
In your body / In your body dress
Laisse moi entrer dans ton corps / Fort et musclé
Quelqu’un arrive / Arrête arrête / Cachons nous / La police s’y glisse / Et y pisse / Débraillés et affolés / Les deux garçons s’ embrassent / Leurs muscles et leurs membres / se retendent à nouveau / Pour l’amour du risque / Et de l’excitation
Refrain
Chaleur chaleur / Chaleur chaleur / Les garçons veulent des garçons / Dans les Wc »
Duo formé en 1984, dans la queue encore crépitante de la comète des jeunes gens modernes, Medikao cite aussi bien Suicide, Joy Division ou Cabaret Voltaire que de W.S Burroughs, Jean Genet, le Velvet Underground ou le disco au titres de ses références. Sa musique agitée traduit une forme d’urgence. Issue d’un sentiment euphorique autant que paranoïaque, elle parvient à concilier une approche pop avec une énergie chaotique, à travers des textes incisifs et des rythmiques synthétiques convulsives. Plusieurs de leurs titres apparaissent sur différentes compilations et le groupe fera même la première partie de Noir Désir en 1989, mais il n’enregistrera jamais d’album en bonne et due forme. En 1996, la folle aventure prend fin, du fait de divergences musicales. Aujourd’hui, Pascal est devenu La Veuve Electro – il partage désormais l’aventure naissante du label KAUGUMMI, Olivier a quant à lui choisi une autre voie que la musique…
Wc boy, morceau inédit de Medikao est le plus tardif des titres de cette compilation. Ecrit en 1986 et enregistré au studio D Mascunan à Limoges en 1989, il ne cadre certes pas avec les dates de la période traitée (78 / 83), mais il est par ailleurs tellement raccord avec elle dans l’esprit et les sonorités, qu’il méritait bien qu’on prenne quelque liberté par rapport aux dates en question. Durant cette session studio, où furent également enregistrés les titres « Sex gore » et « Kamikaze crasher », Pascal , le chanteur, fut emmené à l hôtel de police puis incarcéré à la maison d arrêt de Limoges pour affaires opioïdes. Olivier dut terminer le mixage seul, pendant ce temps, Pascal écrivait « Cobra mon amour » derrière les barrots.
A 7– Le club des cols roulés – 60 Amor
Au tout début de années 80, dans la foulée de ses premières élucubrations punk avec son groupe 1984, et parallèlement à ses expérimentations proto-électroniques avec Edwige Belmore et Claude Arto – qui s’apprêtent à sortir, sous la houlette de Jacno à la production, le premier et hélas unique album de Mathématiques Modernes (« Les visiteurs du soir », 1981), – Henri Flesh participe à un projet musical éphémère qui, de son propre avoeu, tient plus du délire entre potes que du groupe de rock à proprement parler : le Club des cols roulés. Emanation de la Bande au bandeau (groupe informel de night-clubbers parisiens parmi lesquels on retrouve par exemple Alain Pacadis ou les artistes Pierre et Gilles), le Club des cols roulés est une bande dans la bande qui se réunit à peu près quotidiennement chez Henri Flesh. En 1981, ce « club » enregistre un titre unique, conservé en archive et resté inédit jusqu’ici, « 60 Amor », sorte d’ovni synthétique expérimental, dissonant et déconnant, qui associe un talk over à la Bardot et des bidouillages sonores dignes des bandes-son de certains vieux film de SF, quelque part entre Pierre Henri et Joe Meek…
« Ce dessin est de la main de Charles Seruya, si ma mémoire est bonne. Il a été fait dans mon appartement de l’époque, rue des Filles du Calvaire, où l’on se réunissait presque tous les jours avec quelques membres de la Bande au bandeau, dont la devise était « Let’s go libido ! ». Il y avait Pinochar (Charles Seruya), Electrika (alias Freddy, Frédérika Lévy), Eric Bush, Cioccolatto (Phillipe Krootchey), Cajoline (Bambou), Laurent Campini (artiste peintre), la petite Fred, Edwige et moi même. On s’était autoproclamé Club des cols roulés – dont le plus fervent adepte était sans doute Eric Bush, qui l’avait peu à peu imposé en standart. Ce « club » était une sorte de version exclusive de la Bande au bandeau. On avait un gros délire sixtie’s, surtout sur le plan vestimentaire mais aussi pour le coté Farniente et léger de ces années-là. La musique de « 60 Amor » est de moi et Charles Seruya. Les paroles sont de Frédérika, Krootchey et moi même. C’est Freddy (Frédérika Lévy) qui chante à la Bardot sur le morceau. »
Henri Flesh.
B 1 – Radio Romance – Etrange affinité
Line up : Laurence Romance (chant), Jean-louis Schell (guitare), Bertrand Morane (claviers, basse), Eric Aper (saxophone, guitare) + musiciens additionnels :Philippe Leenhaert (basse), Jean-Pierre Liétar (batterie), Richard Cuvilier (trompette).
Radio Romance se forme fin 78 à Lille et écume les scènes régionales en compagnie des groupes issus de la nouvelle vague post-punk de l’époque (WC3, Modèle V2, Liebroman, Killer Ethyl..)
En 1980, ils enregistrent « Etrange affinité », sorte de complainte low fi, désabusée et dépressive, sur fond de boîte à rythme minimale, de saxo plaintif, de chant désincarné et de riffs de guitare dissonants. Le morceau figurera sur une compilation cassette culte, éditée par le label bruxellois Les Disques du crépuscule, et intitulée « From Brussels with love » (rééditée en CD en 2007), sur laquelle figuraient divers groupes belges et britanniques. Très vite dans la foulée, le groupe entre en contact et sympathise avec les membres de Taxi Girl. Leur première maquette intéresse parallèlement le label CBS qui est éventuellement partant pour signer la chanteuse, mais pas le groupe au complet. Suite à un passage remarqué aux 2èmes rencontres Transmusicales de Rennes, ils sortent en 1982 un 45 tours sur Mankin Records, le label de Taxi Girl, avec « S.E.U.L. Seul » en face A et « Mort à Venise » en face B. Le single se vend à environ 20 000 exemplaires, mais ne sera pas suivi d’autre disques car le groupe se sépare peu après sa sortie, en 1983, notamment du fait du départ pour Paris de Laurence Romance, en compagnie de Patrick Eudeline – qui lui prédit qu’elle le quittera quand elle rencontrera le rock critic Nick Kent. Elle travaillera ensuite pour Libération et Rolling Stone puis rencontrera effectivement Nick Kent en 1988, avec qui elle se mariera, réalisant ainsi l’oracle Eudelinien.
B 2 – A.R.T. – Foolish Virgin
Groupe créé en 1982 par 3 lycéens parisiens qui répètent au départ dans une chambre – guitares, basse, Korg MS 20 et boite à rythme. La chanteuse, Catherine Gasté, alors animatrice d’une émission sur le rock underground dans une radio libre, rejoint rapidement la formation à l’invitation d’un des membres du groupe, Olivier Rucheton, suite à plusieurs passages de ce dernier dans l’émission.
D’emblée, l’intention est de se démarquer de l’influence punk, encore largement prépondérante à l’époque, et d’initier une démarche artistique globale mettant sur le même plan l’approche musicale et esthétique – d’où le nom choisi pour le groupe : A.R.T., acronyme de Art Remains Tangible, « l’art reste tangible ». L’idée étant de trouver des voies alternatives et nouvelles, à l’image d’un groupe comme Lucrate Milk (qu’A.R.T. côtoie régulièrement sur les scènes de différents squatts parisiens). Leurs influences mêlent cinéma expressionniste allemand, cinéma de genre (le Eraserhead de David Lynch en particulier), littérature (le titre Foolish Virgin est un clin d’œil au poème de Rimbaud, « La vierge folle »), surréalisme, dadaisme, etc., le tout passé à la moulinette du Do It Yourself et teinté de velléités libertaires. Le groupe apprécie le mélange des genres et des références à diverses formes d’avant-gardes. Très attentif à la scène indus / expérimentale post punk (aux productions de Einstürzende Neubauten, Cabaret Voltaire, Throbbing Gristle, Palais Schaumburg ou Tuxedomoon par exemple), il intègre aussi – essentiellement au niveau du chant – des influences liées au blues et au jazz, ainsi bien sûr qu’à l’incontournable icône new wave, Siouxsie Sioux.
A.R.T. n’a jamais sorti d’album vinyle mais a participé à deux compilations et à édité trois cassettes, en collaboration avec le label V.I.S.A. notamment. Le groupe est volontairement resté éloigné autant que possible des studios professionnels et des grosses maisons de disques – la plupart des morceaux a ainsi été enregistrée dans son lieu de répétition habituel, une cave située rue du Roi de Sicile.
Très actif jusqu’au milieu des années 80, il périclite lorsque Olivier part rejoindre la formation de F.J. Ossang, MKB Fraction Provisoire, et s’éteint définitivement fin 1985 – début 1986, malgré la brève incursion de l’ex bassiste de Guernica dans le line up.
B 3 – Kas Product – Holy cow *
”This song remained so long in a box, it was gone and forgotten, and then one day
we found it and we dusted it, so now, here it is !” Mona Soyoc & Spatsz
Le duo nancéen Kas Product a exhumé des ses archives, spécialement pour cette compilation, un titre inédit datant du tout début des années 80 : « Holy Cow », sorte de bombe (à retardement) proto-électro, ultra efficace, tant sur le plan rythmique que mélodique. Ce titre aurait amplement mérité de figurer sur un des premiers albums du groupe, mais assez étrangement, il ne se retrouva ni sur « try Out » (1982) ni sur « By pass » (1983). C’est l’occasion de découvrir, plus de 30 ans après son enregistrement, ce morceau « time capsule » de l’un des groupes les plus talentueux et précurseurs de sa génération, indémodable et influente icône de la scène cold wave française – de même que la photo reproduite ici qui date de la même époque (82/83), et qui n’avait elle non plus jamais été publiée.
B 4 – Franz Kultur & les Kramés – Ultime atome
Line up : Franz Kultur : voix / Mao Trouble : Basse / Graton Laveur : guitare / Charles Rinit Alergic de St Brice : batterie / X: synthé. Ville d’origine : Lannion.
Formé en 1982, suite à un concert de Starshooter – en tournée d’été à Perros Guirec avec France Inter -, le groupe répète dans le sous-sol des parents de Mao Trouble, avec une boite à rythmes et le Mao en question à la guitare. Leurs compos et leurs textes illustrent d’emblée un certain état d’esprit, irrévérencieux et subversif – cf. par exemple le titre « Killing The Tourists », clin d’oeil lointain au « Killing An Arab » des Cure. La formation évolue ensuite et c’est Graton Laveur qui prend la guitare, tandis que Mao se met à la basse. Viennent ensuite Charles Rinit Alergic de St Brice à la batterie (qui succède rapidement à un certain Jean-Jacques…) et X qui joue du synthétiseur (en fait X sera tour à tour le frère de Franz, la copine de Charles Rinit, le guitariste d’un autre groupe de Lannion: Mélodie Vengeance, et enfin le Lomig, dernier clavier du groupe). Deux choristes les accompagnent un temps: Rose Perverse et Pause Reverse. C’est à cette époque qu’ils inventent leur doctrine du “Néo Glauque After Goûter”- étant donné qu’ils ne répétaient jamais sans avoir auparavant ingéré quantités de pâte à tartiner à la noisette…
Ils enregistrent au printemps 83 une maquette 6 titres au Studio La 3éme Oreille à Trémuson. FaceA: Tu eres mia cosa, Ultime Atome, L’espion / Face B: Ouest France, Futile Fantasmagorie, I wanna be your pig. Ils gagnent dans la foulée l’enregistrement d’un 45 tours au Studio DB à Rennes lors d’un tremplin rock, mais ce disque ne sortira jamais (l’ingénieur du son, en pleine période de recherche, leur fait un son hyper froid qui ne colle pas du tout à l’esprit du groupe). Ils apparaissent ensuite sur la compilation du Fanzine New-Wave “1984, the second”, au coté de 39 autres groupes punks, avec la chanson « Ouest France », sorte d’hymne underground du synth punk breton. Ils feront en tout une bonne cinquantaine de concerts, dans des bars, des MJC et quelques festivals (Guingamp, St. Nazaire, Trébeurden), ils jouent aussi à Paris au Gibus et au Cithéa. Leurs plus hauts faits d‘armes restant probablement la première partie de Bérurier Noir à St Brieuc, et celle de Kas Product à Rennes. En 1987, le groupe se délite sans heurts car certains des membres vont poursuivre leurs études ; qui à Rennes, qui à Paris… Le groupe se reformera de manière éphémère en 2011, le temps d’un unique concert au Bacardi, à Callac.
B 5 – Meca Rythm – Night Virus (Human Contact) *
« Méca Rythm est l’aboutissement final d’une aventure démarrée fin 1978. Cette année-là, un ami (Dominique Racapé) et moi-même décidons de former un groupe punk. Nous sommes très vite rejoints par Thierry Pennec au synthétiseur, puis Vincent Bénezi aux perçussions électroniques. Une tendance new wave se dessine rapidement.
Le Fœtus est le premier nom du groupe. Nous jouons notre premier concert fin 1979 aux premières rencontres des musiques électroniques organisées à Rennes (une trentaine de spectateurs maximum à la MJC la Paillette…). Nous enchainons ensuite les petits concerts dans la région. Le 25 juin1980, nous jouons à nouveau à la Paillette, un concert organisé par Pierre Fablet, à l’occasion duquel Etienne Daho effectue – me semble-t-il – sa première prestation, sur une bande enregistrée avec les musiciens de Marguis de Sade. C’est pour nous un « gros succès ». Après ce concert, nous changeons de nom pour « Mécanique rythmique » (à cause d’un groupe homonyme, tant mieux). Nous étions un des premiers groupes à jouer avec une boite à rythme Korg Mini Pop et un synthé Korg MS 20. En 1981 sort la compil Rock ‘N’ Rennes avec notre morceau « extase ».* Dominique nous quitte pour ses études, mais nous continuons et le groupe tourne pas mal : concerts à Angers, Fougères, le Stanley, l’Espace etc… Le magazine Best fait même une chronique sur nous dans son numéro de mars 1981. Le groupe passe par des phases à quatre, trois puis deux membres (moi au chant et à la guitare, et Thierry aux synthétiseurs), En 1982, je retrouve Vincent et rencontre Jean-Luc Briand qui intègre le groupe au chant et avec qui nous commençons l’aventure Meca Rythm. Le concept musical est 100% électronique. Nous enchainons à nouveau les petites salles et c’est une période très sympa – dont le point d’orgue est notre participation aux Transmusicales en 1983. Fin 1984 le groupe s’arrête naturellement. Comme une mécanique bien huilée. »
Laurent Grison – octobre 2014.
* Morceau réédité en 2008 sur la première compilation Des Jeunes Gens Mödernes, seule occurrence discographique du groupe jusqu’ici. La seconde étant le morceau inédit figurant sur ce vol 2 : « Night Virus (Human Contact) », premier morceau d’une maquette 4 titres enregistrée en février 1984, à Laval, sur un Tascam K7 4 pistes. Datant de la dernière période du groupe, ce morceau constitue une petite curiosité stylistique, avec cette rythmique synthétique, ces nappes très « cold », et ce chant scandé associés à des sonorités électro qui flirtent clairement avec le hip hop vers la fin du morceau – à une époque où la scène rock et la scène rap balbutiante se regardaient encore en chiens de faïence, si elles ne s’ignoraient pas purement et simplement, en France en tous cas.
B 6 – Perspective Nevski – Un billet pour L’Eternité *
Perspective Nevski est le plus synthétique et sans doute aussi le plus singulier des groupes toulousains ayant émergé dans la ville röse au début des 80’s. Son « Moment Of Hate », paru sur la première compilation Ephémère en 1983 – seule et unique occurrence discographique du groupe -, est le morceau qui ouvre le documentaire Des Jeunes Gens Mödernes, avec son implacable ligne de basse et ses riffs de guitare typiquement cold wave. Il figurait également déjà sur la compilation double CD éponyme, éditée en 2008, dans sa version originale et sous forme d’un cover de Toma feat. Hening, hommage électro-pop à ce morceau tellement symptomatique du son de l’époque – tout comme la carrière de Perspective Nevski fut caractéristique du parcours de la grande majorité des groupes de cette scène. La base du groupe se forme en 1980 avec les frères Istilartes: lorsqu’Armand déboule avec un synthé et une boite à rythme, Christian lui emboite tout de suite le pas au chant et à la compo. Le groupe, actif de 80 à 85, connaitra différentes configurations, avec 4 ou 5 membres selon les époques – deux guitares, une basse, deux synthés et une boite à rythme Tascam. « Un billet pour l’Eternité » est un morceau inédit et totalement hors format (il fait plus de six minutes), plutôt down tempo, caractérisé par une dimension incantatoire, avec des paroles relativement hermétiques, à résonnance mystique. Il reprend tous les attributs et codes sonores des productions cold wave de l’époque, tout en y intégrant des influences liées à la musique médiévale et un chant pouvant évoquer la complainte d’un ménestrel post punk halluciné, comme en proie à une révélation. Ce titre étrange et atypique, Christian Istilarte a commencé à l’écrire dès 77, du temps de son groupe précédent, les Rockefellers (formation rock classique qui splitte fin 78). La mélodie et l’intention générale sont posées très tôt, mais le chant reste en yahourt et il mettra plusieurs années à écrire les paroles et à retravailler les arrangements au piano. Le texte traduit l’insatisfaction permanente de son auteur / interprète face à ses imperfections en tant qu’être humain, mais aussi face à celles du monde et de la vie en général. Le premier couplet, qui ne figure pas sur la version finalement enregistrée, commençait d’ailleurs ainsi : « Ma haine de moi / De mes déchirements / Mon amour des figures / Mon amour du moment(…) » Ce morceau est également une référence implicite au roman d’Albert Camus, « La chute ». Inspiré par l’approche métaphysique développée dans ce roman, il évoque en effet une rencontre initiatique avec un double de lui-même, personnage parfait et être démiurge sans tâches qu’il aspire à être, mais qui lui demeure inatteignable, et qui est décrit comme un phoenix, capable de « naître plusieurs fois », de se relever de toutes les dépressions, tous les excès, toutes les déceptions et tous les échecs.