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Dans l’univers en expansion perpétuelle de l’illustration sonore française des années 70 et 80 Sauveur Mallia occupe une place exemplaire tant son parcours, son œuvre protéiforme et la singularité de son talent résume le travail de ces musiciens de l’ombre qui décidèrent alors, souvent pour des raisons économiques, de partir à la conquête de l’espace avec seulement quelques synthétiseurs dans leurs bagages. La modestie de leurs moyens n’est pas à la mesure de leur ambition, mais la condition d’expérimentations sonores qui construisent un nouvel espace sonore : celui d’un pays qui bascule dans la modernité. De la terre de France aux confins du cosmos, il n’y avait que quelques pas à franchir. C’est au sein du label Tele Music, à bord du vaisseau Arpadys et avec l’équipage de Voyage que Sauveur Malia a fait le grand saut.
D’où venez-vous ? D’où vient votre envie de faire de la musique ?
Je suis d’origine italienne, ma famille vient du sud. Je suis né en 1949 à Toulouse. Mon envie de faire de la musique reste mystérieuse. Quand j’étais jeune j’ai formé un groupe avec des copains, c’est quelque chose qui se faisait à l’époque où j’ai commencé à jouer de la basse en amateur. J’ai tout de suite accroché. J’ai voulu aller plus loin et j’ai donc suivi des études au conservatoire de Toulouse, des études classiques de contrebasse. Premier prix à l’unanimité, pas mal de classique dans l’orchestre philarmonique tout en jouant de la basse dans des formations de jazz ou des groupes de pop.
Qu’est-ce que vous écoutiez adolescent ?
Surtout du groove américain. Otis Redding, James Brown etc… Dans les groupes dans lesquels je jouais on faisait essentiellement des reprises. On jouait à l’oreille, en faisant beaucoup de répétitions en autodidacte.
Pourquoi rentrer au conservatoire ?
Pour moi c’était essentiel parce que je voulais vraiment apprendre la musique sur toutes ses bases, savoir lire la musique, le solfège. Faire les choses dans les règles de l’art.
Vous aviez décidé de faire de la musique votre carrière ?
J’avais ça dans la tête. Mon ambition c’était de monter à Paris. Mon rêve c’était de jouer dans les studios d’enregistrement, faire des tournées. C’est ce que j’ai réussi à faire. J’ai fini le conservatoire et je suis parti à Paris en 1973.
Vous aviez des musiciens dans votre famille ?
Non, personne. Ça m’est tombé dessus par hasard. A l’époque pour les gens faire de la musique ce n’était pas un métier. Mes parents étaient contre. Je ne suis pas le seul dans ce cas.
Comment se passe votre arrivée à Paris ?
Je ne connaissais vraiment personne. Je savais comment se pratiquait le métier, j’avais les adresses des studios, le nom des orchestres. J’avais un ami musicien de Marseille qui connaissait Jannick Top le bassiste de Magma. Je le rencontre après un concert de Magma dans le sud. On accroche bien et il me dit de l’appeler lorsque je monterai à Paris. C’est ce que j’ai fait. Il m’a dit d’appeler l’orchestre de Paul Mauriat qui cherchait un bassiste pour faire une tournée au Japon de deux mois. J’ai passé l’audition accompagné au piano en branchant ma basse sur son ampli alors que je postulais pour une place dans un orchestre de trente à quarante musiciens qui jouaient de la variété élaborée. Ça a marché et c’est comme ça que j’ai décroché mon premier job.
Comme s’est passé cette tournée au Japon ?
On a écumé tout le Japon, plus la Corée, Hong Kong et Shanghai en Chine. C’était mon premier voyage et j’ai été bluffé par le professionnalisme des Japonais. Du coup j’ai fait 5 ou 6 tournées avec Paul Mauriat. En rentrant à Paris il m’a engagé à jouer sur ses disques. C’est comme ça que j’ai mis les pieds pour la première fois dans des studios d’enregistrement parisiens. De fil en aiguille, je me suis fait une réputation, j’étais appelé par des arrangeurs chef d’orchestres. J’ai travaillé ainsi avec tous les chanteurs et chanteuses de la variété française des années 70, 80, 90 : Nougaro, Jonasz etc… J’ai vécu cette grande période de la chanson française.
Parallèlement vous aviez envie de composer des œuvres personnelles ?
Ce n’est pas venu tout de suite. Mais quand la période Disco est arrivée vers 77 / 78, j’étais dans une équipe basse, guitare, batterie, percussions, claviers qui écumait les studios. J’avais joué sur les disques de Cerrone et on a décidé de former un groupe, Voyage. On est parti enregistrer un album à Londres dans le studio d’Elton John avec son ingénieur du son. Une expérience fantastique. Ce disque a cartonné dans le monde entier. Comme on était des musiciens de studio qui avions fait un album commercial qui a fonctionné, tout le monde nous appelait, on faisait toutes les séances, sans arrêt, on était exténué. Dans le milieu musical, les gens sont superstitieux : ils prennent toujours l’équipe qui gagne. A ce moment là c’était nous.
Vous aviez également monté Arpadys avec les gens de Voyage…
Arpadys c’est moi avec la même équipe. J’ai composé, arrangé, enregistré Arpadys avec le même producteur que Voyage, Roger Tokarz. A cette époque j’écoutais beaucoup les groupes allemands comme Kraftwerk, Klaus Shulze ou Tangerine Dream. J’étais très branché sur la musique planante et j’ai commencé a travaillé dans ce sens chez moi avec mes synthés. C’était une démarche complètement différente de mon métier de bassiste.
Vous travailliez sur quels synthétiseurs ?
Des vieux machins en mono, même pas polyphoniques. Trois Korg et des Moogs. Pas encore de boites à rythme mais le batteur de Voyage. J’ai fait des recordings de guitare et de batterie en studios et je suis allé mixer en Angleterre. Mais l’essentiel du disque a été enregistré chez moi.
Vous étiez intéressé par la science-fiction ?
Je n’ai jamais vu d’extra-terrestres mais je me dis : « pourquoi pas ? » On n’est peut-être pas les seuls. Remarquez, je suis peut-être un extra-terrestre, mais je ne le sais pas (rires)
A quel moment commencez-vous la musique d’illustration sonore ?
J’ai toujours travaillé avec Roger Tokarz qui a produit Voyage et Arpadys. Dans la foulée avec mes copains de Voyage on faisait pour son label Tele Music des disques d’illustration sonore avec des thèmes différents basés sur le sport, l’info etc qu’on lui proposait. Je travaillais dans mon studio. Arpadys à l’origine c’était un disque d’illustration sonore, Industrial Rock, que Roger a voulu sortir dans le commerce, ce qui n’a pas donné grand-chose à l’époque alors que depuis quelques années il est très prisé. J’ai même été contacté par un anglais pour remonter Arpadys sur scène.
L’illustration sonore c’était un moyen d’expérimenter librement ?
Oui je n’avais aucune contrainte, je faisais ce que je voulais. Après les gens l’utilisaient ou pas. Sur chaque disque, il y avait des versions longues de chaque titre et on faisait des montages de 60, 30 et 15 secondes ce qui donnaient le choix aux médias. Les contraintes c’était dans les habillages sur mesure pour la radio, des jingles, des génériques pour France Info pendant 17 ans seul chez moi avec mes machines, puis pour RTL, Europe1, et pas mal de télé.
Durant les années 70 et 80 vous êtes très productif dans l’illustration sonore…
Accrochez-vous ! J’ai réalisé 120 albums avec Roger Tokarz. J’enchainais tout le temps en alternance avec des séances d’enregistrement en extérieur. Je travaillais tout le temps et j’allais vite.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur ces productions ?
Personnellement, je n’aime pas écouter ce que j’ai fait à l’époque, parce que j’y trouve plein de défauts, le matériel qu’on avait à l’époque c’était un peu empirique. Je travaillais avec un quatre pistes, ce n’était que du bidouillage pour pouvoir faire des sons, les empiler. Après j’ai eu un huit pistes mais bon… C’est pour ça que je n’aime pas écouter ces disques car je trouve que la qualité sonore n’est pas là par rapport à ce qu’on peut faire aujourd’hui.
C’était pour vous l’occasion de faire des expérimentations ?
Oui par exemple quand le sampling est arrivé je l’ai tout de suite utilisé. J’ai commencé à intégrer des échantillons samplés, des voix humaines trafiquées. On faisait ce qu’on voulait sur ces disques, j’avais beaucoup de libertés. Lorsqu’on a une idée de morceau, on ne sait pas trop où on va au départ. C’est la page blanche, on jette un rythme, des sons, des harmonies, une partie de basse et tout s’enchaine. Il n’y a pas de science exacte. C’était de l’improvisation sur laquelle on faisait un cadrage. Mais au départ il n’y a rien.
Vous conserviez tout ou vous éliminiez certains morceaux ?
Non, il y a des trucs que je jetais. Car quand ça part mal on ne peut plus rattraper. A l’inverse quand ça part bien c’est de mieux en mieux.
Combien de temps vous fallait-il pour réaliser un album d’illustration sonore ?
C’est variable, mais autour de trois quatre mois en général pour 12 titres minimum en sachant que je réalisais tout : programmation batterie, basse, guitare, claviers, arrangement, son, mixage. Ce n’était pas possible de travailler sur deux disques en même temps alors que c’était le rêve de Roger : il pensait qu’avec un seul morceau on pouvait en tirer plusieurs en appuyant simplement sur un bouton. Ça c’était Roger (rires)
Vous aviez des relations avec d’autres musiciens qui faisaient de l’illustration sonore à l’époque ?
Un peu. Au début on travaillait pour des éditeurs indépendants comme Roger, il y avait Tele Music, Coca media et d’autres. Quand les ordinateurs sont arrivés, tout le monde a pu faire semblant de faire de la musique et de tas de gens se sont mis à faire de l’illustration sonore.
C’était un métier lucratif ?
Au niveau des droits d’auteurs ça dépend. De mon coté oui. Pour que ce soit lucratif il faut en avoir fait énormément pour que ça passe en radio, en télé, que ça soit exploité. France Info c’était 70 génériques par jour. Les gains étaient modestes mais leur somme lucrative.
Vous êtes surpris du regain d’intérêt pour votre musique ?
Je l’ai été. Je ne comprenais pas vraiment. Je recevais pas mal de mails de l’étranger. Mais j’ai compris qu’il y avait dans ces albums un son particulier qui attire aujourd’hui les gens. Là où on a pu le vérifier c’est lors du concert de reformation d’Arpadys à Londres. Il y avait 2000 personnes, principalement des jeunes, ils étaient très étonnés que des musiciens jouent en direct live. Ils sont plus habitués aux djs de nos jours. Ils étaient estomaqués, on a fait un carton.
Clovis Goux
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In the ever-expanding universe of 70s and 80s French library music, Sauveur Mallia holds a special place; his career, multifaceted work and the uniqueness of his talent have made him an exemplary figure in the unsung world of library musicians. In those years a few of them, often for economical reasons, would set off on a space conquest, taking along just a few synthesisers. Their ambition well surpassed the modesty of their means; it was in turn the condition to their experimentations with sound which were to create a new sonic space: that of a nation tumbling into modernity. From French soil to the farthest reaches of the cosmos, there were just a few steps to take. It’s with the label Tele Music, boarding the spaceship Arpadys, along with the Voyage crew, that Sauveur Mallia took the big leap.
Where are you from? Where does your desire to make music come from?
I’m of Italian descent, my family comes from the South. I was born in 1949 in Toulouse (France). My desire to make music is still mysterious to me. When I was young I was in a band with friends – it was the usual thing to do back when I started recreationally learning the bass. I loved it from the get go. I wanted to push things further so I pursued classical studies at the Toulouse conservatory, learning double bass. I was unanimously awarded the first prize, did quite a bit of classical in the philharmonic orchestra while I was also playing the bass in jazz formations and pop bands.
What did you listen to as a teenager?
Mostly American groove. Otis Redding, James Brown, etc. In the bands in which I played, we essentially did covers. We played by ear, we rehearsed a lot but we were self taught.
Why the conservatory?
To me it was necessary because I really wanted to learn all aspects of music. I wanted to know how to read music, to learn music theory; I wanted to do things by the book.
You had decided you’d make a career in music?
It was on my mind. My goal was to go to Paris. My dream was to play in recording studios, go on tour. And that’s what I managed to do; I finished my studies at the conservatory and I moved to Paris in 1973.
There were musicians in your family?
No, none. It happened to me by chance. At the time making music wasn’t considered a valid career by most people. My parents were against it, and I’m not unique in that regard.
How was it when you got to Paris?
I knew no one at all. I knew the trade and how to play, I had the studios’ addresses, the names of orchestras. I had a musician friend from Marseille who knew Jannick Top, Magma’s bass player. I met him after a Magma concert in the South of France. We got along quite well and he said to call him when I’d go up to Paris. That’s what I did. He told me to get in touch with Paul Mauriat’s orchestra who was looking for a bass player to tour Japan for two months. I did the audition accompanied on the piano and had to plug my bass into his amp though I was applying for a position in an orchestra of 30-40 members who played elaborate variété. It worked out and that’s how I got my first job.
How did the tour in Japan go?
We went around all of Japan, then to Korea as well as Hong Kong and Shanghai in China. It was my first trip and I was blown away by Japanese professionalism. And so I did 5 or 6 tours with Paul Mauriat. When I got back to Paris he hired me to play on his records. That’s how I first got into Parisian recording studios. One thing leading to another I managed to make a reputation for myself and I was being solicited by arranger-conductors. I ended up working with all the big names of 70s, 80s and 90s French variété: Nougaro, Jonasz, etc. I was immersed in that great era of French chanson.
And in parallel did you want to make your own music?
It wasn’t the case right way. But when Disco arrived in 77 / 78, I was part of a bass, guitar, drum, percussions and keyboard team that went around all the studios. I had played on Cerrone’s records, and we decided to form a band, Voyage. We went to London to record an album in Elton John’s studio with his sound engineer. The experience was amazing, and the record was a hit worldwide. As we were studio musicians who had played on a successful commercial album, everyone called us, we did all the sessions, worked non-stop; we were exhausted. People are superstitious in the music world: they always want the winning team. And right then that was us.
You had also formed Arpadys with the members of Voyage…
Arpadys was me with the same team. I composed, arranged and recorded Arpadys with the same producer as for Voyage, Roger Tokarz. In that period I was listening to German bands a lot, like Kraftwerk, Klaus Shulze and Tangerine Dream. I was very much into space music and I started working at home with my synths. The approach was completely different than to what I was used to as a professional bass player.
Which synthesisers were you using?
Old mono stuff, not even polyphonics. Three Korgs and some Moogs. I didn’t use drum machines yet, but played with the drummer of Voyage. I recorded drum and guitar parts in the studio then went to England for the mixing. But most of the album was recorded at mine.
You had an interest in science-fiction?
I never saw aliens but always thought: “why not?” Maybe we’re not alone. You know, I might be an alien without even knowing (laughs)
When did you start making library music?
I always worked with Roger Tokarz, who produced Voyage and Arpadys. With my friends who were members of Voyage we also made library records for his label Tele Music with different themes we proposed based on sports, the news, etc. I worked in my studio. Originally Arpadys was a library record Roger wanted to commercially release, Industrial Rock. Not much came out of it at the time, yet its become really sought-after in recent years. I was even contacted by and English guy who wanted to get Arpadys back on stage.
Was library music a way to experiment freely?
Yes, I did what I wanted, without any restriction. Then people used it or they didn’t. On each record, there were long versions of each track and we made 60, 30 and 15 second edits – it gave medias the choice. The constraints came with custom sound-design for the radio, with jingles and France Info’s credits I made at home solo with my machines for 17 years, then for RTL, Europe1, and for quite a few TV shows.
During the 70s and 80s you were very productive making library music…
Hang tight! I made 120 albums with Roger Tokarz. I did that plus a lot of outdoor recording. I was working all the time – and I worked fast.
What are your views on these productions today?
I don’t personally like listening to what I made back then, because I hear the flaws; the gear we used was a bit empirical. I was working with a 4-track, and really we were just fiddling about to make sounds, to stack them up. Then I got an 8-track, but anyway… That’s why I don’t like listening to theses records; I find the sound quality quite poor compared to what we can do today.
It was the occasion for you to experiment?
Yes, for example when sampling emerged I used it right away. I started incorporating samples and altered human voices. We did everything we wanted on these records, I had a lot of freedom. When you have an idea for a track you don’t really know where you’re going at first. It’s the blank slate, you throw on a beat, some sounds, harmonies, a bass part and then everything comes together. There’s no exact science. It was improvisation we’d later try to frame. But at the outset there’s nothing at all.
Did you keep everything or did you get rid of some tracks?
No, there were things I’d bin. Because when it doesn’t start well there’s no way to make up for it. On the other hand when it does it only gets better.
How long did it take you to make a library album?
It varies, but around three to fours months in general for a minimum of 12 tracks, knowing that I did everything: I’d program the drums, play the bass, guitar, keyboards, I’d make the arrangement, sound and mixing. It was impossible to work on two records at once, though it’s what Roger dreamed of: he thought with a track you could get many just by pressing a button. That’s how Roger was (laughs)
Were you in relation with other musician who made library music at the time?
A bit. We started by working for independent editors like Roger, then there was Tele Music, Coca media and others. When computers arrived, everyone could do as if they were musicians and loads of people started making library.
Was it profitable?
Regarding royalties, it depends. It was for me. For it to be profitable, for the music to go on the radio, the TV, so that it gets used, you have to have a lot of them. France Info represented 70 credits per day. Each benefit on its own was modest but their sum was lucrative.
Are you surprised there’s a surge of interest for your music?
I have been. I didn’t really understand. I got quite a few emails from abroad. But then I realised there was a peculiar sound to these albums that attracts people today. It became evident at Arpadys’ reunion concert in London. There were 2000 people, mostly young, and they were surprised we were playing live, with instruments. DJ sets are more common these days. They were shocked and it was a big hit.
clovis Goux