Dans notre monde moderne, tout finit, ou finira à la décharge. Ou dans un musée. Il arrive parfois qu’avant de finir dans un musée, les objets passent par la décharge. C’est un peu le cas du disque que vous avez entre les mains. Les titres qui figurent sur cette galette ont, à l’exception de deux d’entre eux déjà sortie en 45T, faillis rester pour de bon à la déchèterie. Gravés en 1971 sur un acétate à quelques exemplaires, pour démarcher les maisons de disques, ces morceaux refont surface, en juillet 2010, miraculeusement retrouvés dans une décharge parisienne (Quai d’Issy)…
Mais parlons plutôt des circonstances dans lesquelles cette bande originale de film a vu le jour…
Originaire de Nice et fils du chef d’orchestre Marcel Mirouze qui dirigea les ballets de Monte-Carlo et de l’Opéra de Nice, Jean-Pierre Mirouze semble prédisposé à évoluer dans le milieu de la musique et de l’art. A l’âge de quinze ans, il obtient le premier prix de piano des conservatoires de Nice et de Paris, et ayant comme ami d’enfance l’artiste Arman, il côtoie rapidement les Nouveaux Réalistes, mouvement artistique fondé par Yves Klein et dont Arman fait partie. C’est par ce biais qu’il accompagne Klein en Allemagne, en janvier 1958, pour l’aider à décorer l’opéra de Gelsenkirchen d’une série de ses fameux monochromes bleus. Les travaux dureront presque 3 ans.
De retour en France, Pierre Schaeffer embauche Jean-Pierre Mirouze au GRM (Groupement de Recherche Musicale) de l’ORTF. Il travaille ainsi au côté de Pierre Henry jusqu’en 1962, mais ses goûts personnels le poussent très vite à se tourner vers la musique ethnique. Ses recherches sur les instruments africains l’amènent d’ailleurs à multiplier les voyages en Afrique et à devenir un fervent défenseur de ce que l’on appellera plus tard la « World Music ». Il prône ainsi un mélange et un métissage des genres, dans une démarche plutôt inédite pour l’époque. On ressent d’ailleurs très bien ces influences dans certains morceaux de la B.O. du « Mariage Collectif »
En parallèle, le GRM monte au début des années 60 une cellule « Image » qui va lui permettre de s’initier à la réalisation et lui donner envie de faire des documentaires. Il aide ainsi à la réalisation d’ « Algérie Année Zéro », tourné à Alger durant l’été 62, sur les débuts de l’indépendance du pays. Le film est censuré en France et en Algérie mais remporte en 1965 le Grand prix du festival international de Leipzig. Il tourne ensuite une série de documentaires en Arabie saoudite, Tunisie et Egypte.
Jean Rouch, qui vient de fonder le Comité du Film ethnographique au Musée de L’homme, devient à cette époque un véritable mentor pour Jean-Pierre. Du fait de leur passion commune, il devient presque naturellement l’assistant de Jean Rouch. Ils commencent alors à réaliser de nombreux documentaires en Afrique qui vont révolutionner le genre. Ils travaillent en effet avec la nouvelle caméra portable 16 mm de chez Eclair-Coutant, une camera qui leur permet de gagner en mobilité et filmer de « l’interieur » les scènes dont ils sont les témoins. Ils captent et offrent ainsi un témoignage unique et inédit pour l’époque des mœurs et coutumes des peuples de l’Afrique qu’ils filment et deviennent des pionniers du « Cinéma du Réel » (Image brutes, commentaires minimes, plans à la volée).
A l’issue de sa collaboration avec Jean Rouch, Jean-Perre Mirouze rentre alors en France. Il est embauché à Opéra Films, la société naissante du réalisateur Jean-Pierre Reichenbach. Il va ainsi réaliser ou co-réaliser 18 films pour le compte de Reichenbach, que ce soit pour la télévision ou le cinéma. On peut citer au hasard « Mudra », avec Maurice Béjart, « Les 25 ans de l’Olympia, », « La leçon de Slava Rostropovitch », etc…
Au milieu des années 60, il se fait embaucher pour travailler sur la très en vogue et très « Pop » émission « Dim Dam Dom » de Jean-Christophe Averty. Jean-Pierre s’occupe alors de l’habillage sonore de l’émission.
En 1971, Hervé Lamarre, qui vient de terminer le tournage en Suède du film « Le mariage collectif » songe à l’équipe de « Dim Dam Dom » pour réaliser la B.O. de son film. Ce film prétend faire l’apologie de la vie en communauté et de la liberté sexuelle, mais c’est en réalité un navet un peu confus dans lequel évocation de la Beat Generation, idéalisme hippie cheap et plans culs bien gentillets se télescopent, dans une œuvre – il faut bien l’avouer – sans grand intérêt. Jean-Pierre Mirouze, parce qu’il est lié à « Dim Dam Dom » est censé apporter une touche branchouille au projet
Pour honorer ce qui n’est donc qu’une commande et trouver les fonds nécessaires à sa réalisation, Jean-Pierre Mirouze se rend chez Bagatelle, éditeur parisien dont l’une des spécialités est la publication de musique de films. Au cours du rendez-vous, il pianote la mélodie de « Together ». Ces quelques notes suffisent à convaincre l’éditeur de financer l’enregistrement de la B.O. Barry green est alors recruté, sur audition, pour interpréter le générique. Les sessions sont expédiées en une semaine et Jean-Pierre bénéficie du soutien des meilleurs musiciens de l’époque comme Jean-Pierre Sabar, organiste de talent, qui sera pour beaucoup dans le succès futur du morceau « Sexopolis ».
A l’issue de ces sessions, 9 morceaux voient le jour. Bagatelle se met alors en quête d’un label pour sortir la B.O. Et pour pouvoir prospecter les maisons de disques, une poignée de test-pressing sont donc édités, sur de simples acétates. Les morceaux que vous pouvez entendre sur cet album proviennent d’un de ces acétates, retrouvé, donc, en juillet 2010 dans une décharge. Cela ne s’invente pas… Mais revenons au film. Il est mauvais, et le démarchage de Bagatelle s’avère laborieux. C’est finalement AZ qui accepte de sortir un 45T avec en Face A, le morceau « Together », présenté comme le « tube » du film, et en face B « Sexopolis », considéré comme un instrumental bouche-trou. La sortie du disque passe évidemment totalement inaperçue, avant que le single ne soit redécouvert au début des années 2000 – grâce, ironie du sort – au morceau « Sexopolis », et ne devienne le Graal que l’on sait pour les collectionneurs de musique de film du monde entier.
Dans la foulée du « Mariage collectif », Jean-Pierre Mirouze va s’essayer sans succès à la comédie musicale. Ce sera le cas avec la comédie musicale « Attention » (1974), oeuvre d’anticipation dans laquelle les hommes vivent sous terre pour échapper à la pollution de l’atmosphère. La comédie musicale ne sera jamais jouée sur scène et le seul témoignage qui subsistera de cette tentative sera la B.O. sortie par Barclay, en raison du mini tube du générique d’ouverture, « Je suis », interpreté par Nicole Rieu.
Trois autres comédies musicales dont « Le Bonheur » seront ainsi écrites par Jean-Pierre Mirouze mais aucun des projets n’aboutira réellement. Depuis, il n’a cessé de réaliser des films, films scientifiques et documentaires pour la télévision française.
Évidemment, impossible de savoir comment l’un des acétates gravés en 1971 a pu finir dans une décharge en 2010. Peu importe. Voilà enfin, quarante ans plus tard, la B.O. intégrale du « Mariage Collectif » enfin disponible…
JB GUILLOT
///////////////////////////////////////////////////////////////
In our modern world, everything ends up – or will end up – in the garbage dump or in a museum. Occasionally, objects make it to the museum by way of the dump. The record you are holding is one of those objects. With the exception of two songs that already came out on a 45, the material on this disk was destined to remain in the trash. In 1971, a very few copies were made on acetate in an attempt to attract the interest of record labels. One was miraculously found in July, 2010 in a Paris garbage dump (quai d’Issy).
But let’s look at the circumstances under which this film soundtrack came to be.
Jean-Pierre Mirouze was born in Nice, the son of Marcel Mirouze, orchestra conductor for the Monte Carlo Ballet and the Nice Opera. Jean-Pierre seemed predisposed to a career in music and art. At the age of fifteen, he won first prize in piano at the conservatories of Nice and Paris. Together with his childhood friend, the artist Arman, he was soon rubbing elbows with members of the New Realism art movement, founded by Yves Klein. This opened the door for him to accompany Klein in Germany, in January 1958, to help decorate the Gelsenkirchen opera house with a series of his famous monochrome blues. The work took almost three years to complete.
Upon his return to France, Pierre Schaeffer hired Mirouze to work for the GRM (Musical Research Group) of the ORTF (the French equivalent of the BBC). There, he worked alongside Pierre Henry until 1962, but his personal tastes quickly led him to explore ethnic music. He took many trips to Africa to research African instruments; he thus became a strong exponent of what was later labeled “World Music.” This led him to advocate the mixing and blending of musical genres, an innovative viewpoint at that time. Some of these influences are quite apparent in parts of the “Mariage collectif” soundtrack.
Simultaneously, in the early 60s, the GRM created an “Image” group that gave Mirouze his first experience directing films and inspired his desire to make documentaries. He filmed “Algérie année zéro”, a documentary about the beginnings of that country’s independence, in Algiers during the summer of 1962. The movie was banned in France and Algeria, but won the Grand Prize of the Leipzig Documentary Film Festival in 1965. Next, he made a series of documentaries in Saudi Arabia, Tunisia and Egypt.
Jean Rouch, who had just founded the Ethnographic Film Committee at the Musée de l’homme (Museum of Man) in Paris, then became an important mentor for Mirouze. Based on their shared passion, it was a natural step for him to become Jean Rouch’s assistant. They began to film numerous documentaries in Africa that would go on to revolutionize the genre. The new Eclair-Coutant 16 mm hand-held camera increased their mobility and allowed them to shoot authentic scenes indoors. Their films thereby captured an unprecedented and unique view of African customs and manners, and they became pioneers of “Cinema du Réel” documentary (raw images, minimal narration, shooting on the fly).
Following his collaboration with Jean Rouch, Mirouze returned to France. He joined Opera Films, the fledgling company of director Jean-Pierre Reichenbach. He directed or co-directed 18 films for Reichenbach, for both television and cinema, including “Mudra” (with Maurice Béjart), “Les 25 Ans de l’Olympia” and “La Leçon de Slava Rostropovitch.”
In the mid-60s, he was hired to work on Jean-Christophe Averty’s very popular and very “Pop” program “Dim Dam Dom.” Mirouze was in charge of the show’s soundtrack.
In 1971, Hervé Lamarre, who had just finished shooting the film “Le Mariage collectif” in Sweden, thought of using the “Dim Dam Dom” team to create the musical score for his film. This film, which claims to try to justify open relationships and sexual freedom, is actually a botched second-rate picture that combines evocations of the Beat Generation, hippie idealism and softcore nudity, in a work that is – quite frankly – uninteresting. Jean-Pierre Mirouze, because of his association with “Dim Dam Dom,” was expected to bring a trendy touch to the project.
Seeking to round out funding for what was, in essence, a commercial job, Mirouze went to Bagatelle, a Paris publisher specializing in film music, among other genres. While he was there, he played the melody of “Together” for them. These few notes were enough to convince the publisher to finance the recording of the soundtrack. Auditions were held, and Barry Green was recruited to sing the theme song. The recording was wrapped up in a week by a top-flight group of musicians, including Jean-Pierre Sabar, a talented organist who would be instrumental in the future success of the song “Sexopolis.”
Nine tracks were produced during these sessions. Bagatelle then started looking for a record label to issue the soundtrack album. In an attempt to interest record companies, a handful of test pressings were made, solely in the form of acetates. The songs on this album come from one of these acetates, found, in July, 2010, in a garbage dump. We could not have invented a story this strange. But let’s get back to the film. It turned out to be a failure, and Bagatelle had a difficult time selling the soundtrack project. Finally, AZ (a French label) agreed to put out a 45 with “Together” on side A, billed as the “hit” from the film, and “Sexopolis” on the B side as an instrumental filler. The 45’s release went completely unnoticed, of course. It was rediscovered in the early 2000s, thanks – ironically – to the song “Sexopolis,” and became the Holy Grail for worldwide collectors of film music.
In the wake of “Mariage collectif,” Jean-Pierre Mirouze tried his hand unsuccessfully at musicals. For example, the musical “Attention” (1974) is about a future dystopia where people live underground to escape air pollution. The musical was never performed on stage; the only remaining evidence of this project is the soundtrack, which came out on the Barclay label, on the strength of the opening credit theme, “Je suis,” sung by Nicole Rieu. It became a minor hit.
Three other musicals, including “Le Bonheur,” were later written by Mirouze, but none of these projects were actually produced. Since then, he has regularly directed scientific films and documentaries for French television.
Obviously, we will never know how one of the acetates, cut in 1971, could possibly end up in a city dump in 2010. No matter. Forty years later, the full soundtrack of “Mariage collectif” is available at last.
JB GUILLOT
TRANSLATION : JON VON ZELOWITZ