ORVAL CARLOS SIBELIUS

Enregistrer la musique la plus lumineuse et conquérante qui soit pour conjurer une mélancolie sans fond. Ça pourrait être une définition de la pop, celle de l’âge d’or, quand The Beach Boys ou The Left Banke s’autorisaient tous les excès orchestraux pour sublimer la force vitale de l’adolescence, tandis que Pink Floyd et The Soft Machine enfonçaient les portes de la perception. Celle vers laquelle revient sans cesse Orval Carlos Sibelius, presque malgré lui. « Je cherche à prendre la tangente mais je me retrouve toujours sur le même chemin », avoue-t-il. « Dès que je lutte contre moi-même, ça ne donne rien de bon. » Dans un monde joyeusement amnésique, où l’injonction à la nouveauté éteint lentement les symboles, c’est à la constance qu’on repère les artistes. Aux obsessions qu’on reconnaît les auteurs. Quand on porte en soi un héritage de mélodies luxuriantes et de vertiges psychédéliques, pourquoi chercher d’autres moyens de se sentir vivant ? Tous les passés sont fertiles, pourvu qu’on les cultive avec un cœur d’aujourd’hui.

On peut croire Orval Carlos Sibelius quand il dit que sa musique serait la même si personne n’avait l’idée de l’écouter. C’est d’ailleurs ce qu’il a fait pendant longtemps, d’abord sous l’alias Snark puis sous celui qu’on lui connaît depuis 2006, l’année où il a décidé de se mettre à chanter. Et il aurait continué ainsi jusqu’à son dernier souffle si son album Super Forma n’avait rencontré en 2013 un certain succès. Alignement des planètes ou aboutissement formel d’un fantasme personnel ? La première raison aurait suffi à « faire sensation ». La seconde à filer des suées à la concurrence. Mais c’est bien l’alliance des deux qui est la marque des œuvres importantes. Celles qui ne vieillissent pas, ou si peu, et qui, contre tout factice paradoxe, parlent le mieux à leur époque. 

Trois ans après ce coup d’éclat, Orval Carlos Sibelius risquait avec le LP Ascension une incartade instrumentale à la grammaire épurée, taillée pour dialoguer avec les images d’un documentaire presque introuvable, « Les Rendez-vous du Diable » de Haroun Tazieff. Une tangente vers la glace et le feu, loin des exaltations baroques, mais essentielle pour qui avance à grandes enjambées sur le fil de la pop éternelle. Quand Orval Carlos Sibelius chasse le naturel, on peut être sûr qu’il va revenir au galop. En l’occurrence, c’est une véritable chevauchée des Valkyries qu’on découvre sous ce titre aussi héroïque qu’ironique : Ordre et Progrès. Quelque chose comme une superproduction intimiste, un péplum existentiel. Son album le plus décomplexé et aussi le plus musclé, comme si Led Zeppelin et Shellac venaient en renfort pour décupler la flamboyance des mélodies, et contrebalancer de plus belle une « désintégration proche et inévitable ». 


Pour parvenir à ses fins, Orval Carlos Sibelius a choisi ses musiciens « comme le braqueur organise son coup ». La batterie, l’un de ses instruments fétiches, est laissée aux bons soins de Basile Ferriot (One Lick Less), passé par le post-rock et le metal hardcore. La basse arrive entre les mains de l’hyperactif Vincent Mougel (Kidsaredead). Le chevronné Philippe Thiphaine (Heliogabale) fait valoir sa science des riffs de guitare acérés. Et pour mettre de l’ordre dans ce mille-feuille sonore – jusqu’à 140 pistes par morceaux, « plus que ce que Protools pouvait emmagasiner » – Stéphane Laporte (Domotic, Egyptology) partage son oreille éclairée. Pourtant, le patron ne leur a pas lâché la bride : chaque rebondissement, chaque excès, chaque éclat est né dans sa tête et porte le sceau de sa vie intérieure. C’est ainsi que, pour la première fois, il s’autorise à chanter en français, sans pour autant renoncer à cette qualité de la pop qu’il aime, qui n’a pas besoin de littéralité pour être comprise par les tripes. Du singulier au collectif, la translation s’opère par le son des mots et le choc des harmonies, laissant chacun maître de son interprétation.

Maintenant que cette œuvre baroque est fixée dans la cire, Orval Carlos Sibelius peut repartir vers de nouvelles aventures intérieures, qui décanteront avant de nous être communiquées. Après la tempête du studio, le calme de la chambre où sa musique se régénère. « Ce que je préfère dans la vie, c’est rêvasser sur le morceau que je suis en train de faire, tant qu’il n’est pas encore fixé. Un peu comme un amour naissant, quand tout est encore possible. » En attendant la suite de cette romance pop perpétuelle, laissons-nous faucher par la maestria épique d’Ordre et Progrès.

Michael Patin

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Recording the most luminous and conquering music there is, in order to conjure up melancholic depths. This could be the definition of the pop music made during the golden age, during which the The Beach Boys and The Left Banke allowed themselves to be as orchestral as they could be, to transcend the vital energy of what it meant to be a young, whilst Pink Floyd and The Soft Machine were breaking down the doors of perception. The music that Orval Carlos Sibelius returns to, almost to a default position. “I try to go off on tangents, but I always end up on the same road,” he admits.

In a world of joyful amnesia, artists can be recognised via their consistency. Obsessions betray authors. When you’ve inherited a gift for luxurious melodies and psychedelic heights, why look for other ways to feel alive?

You can believe Orval Carlos Sibelius when he says that his music would be the same if no one had the inclination to listen to it. And he would’ve carried on this way until his last breath if his album Super Forma hadn’t been met with some success in 2013.

Three years after this exploit, with the Ascension LP, Orval Carlos Sibelius took the risk of making an instrumental escape, a streamlined sidestep made to fit with the images from an almost impossible-to-find documentary, « The Devil’s Blast » by Haroun Tazieff. But when Orval Carlos Sibelius veers from his usual path, he soon returns to the fray. In this case, it’s a real Ride of the Walkyries that’s to be discovered behind a title that’s as heroic as it is ironic: Ordre et Progrès (Order and Progress). Something like an intimate superproduction, an existential peplum. His most uninhibited album, and also the hardest, as if Led Zeppelin and Shellac had turned up to help reinforce the flamboyant melodies.

Now that this baroque art is set in wax, Orval Carlos Sibelius can now return towards further intimate adventures. After the studio-based storm, back to the calmness of his bedroom where his music regenerates. “What I prefer in life is to dream about the track I’m working on, while it’s not set in stone. A bit like a love story that’s just begun, when everything still seems possible.” While we wait for the next step of the perpetual pop romance, let’s be knocked down by the epic maestria of Ordre et Progrès.

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