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Comment faire face, aujourd’hui, à des personnes handicapées mentales, sans retenue, sans préjugés, sans que leur différence ne s’impose comme une barrière infranchissable ? En se confrontant directement à leur force créatrice, à leur énergie déployée sans retenue. Et quoi de mieux pour cela que la scène, lieu où le handicap cesse d’être un « moins » pour devenir un « plus » et permet enfin de révéler sans oeillères ni artifices d’exceptionnelles forces de caractère ?
Du groupe expérimental Les Harry’s au collectif hip-hop Choolers Division en passant par les projets protéiformes de l’Atelier Méditerranée (devenu BRUT POP), nombreuses sont les initiatives à avoir exploré ce sillon ces dernières années, suscitant l’intérêt d’un public pas toujours préparé au choc de la rencontre. L’une des plus mémorables a eu lieu au mini-festival Sur Les Rails, initié par l’Atelier Méditerranée à Paris en 2014. C’est là qu’une poignée de chanceux a eu la chance de découvrir le Wild Classical Music Ensemble : Linh Pham, Johan Geenens, Wim Decoene et Sebastien Faidherbe, quatre handicapés mentaux drivés par le musicien et luthier sauvage belge Damien Magnette, qui livreront ce soir-là, devant une assemblée littéralement pétrifiée, un concert brutal, sauvage, prométhéen.
Restait toutefois une question : comment retranscrire une expérience aussi physique et viscérale sur disque ? Et était-il même nécessaire de le faire ? Le premier album du groupe, sorti très confidentiellement chez Sub Rosa, était passé sous les radars et personne ne semblait bien savoir par quel bout prendre l’affaire. C’est pourtant pas moins de 6 labels (parmi lesquels Born Bad et Humpty Dumpty) qui se bousculeront pour publier en 2015 Tapping Is Clapping, nouveau LP plein de feu et de fureur, disque résolument « autre » qui balayera définitivement les derniers sceptiques en se faisant l’écho féroce de cette citation du Voyage Au Bout De La Nuit de Céline : « La grande fatigue de l’existence n’est peut être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable. Pour ne pas être simplement, profondément soi- même, c’est à dire immonde, atroce, absurde. »
Et si en 2019 vous n’avez pas encore osé vous laisser pilonner par le rouleau-compresseur Wild Classical Music Ensemble, rassurez-vous : l’heure du rattrapage-express est enfin venue avec Tout Va Bien Se Passer, troisième album du Wild Classical Music ensemble et de très loin son plus accessible à ce jour. Mais attention, il n’est pas question ici d’accalmie, loin de là – en témoigne l’exceptionnel « Bande De », furieux concert d’invectives sur lequel Fabrice, le chanteur de Frustration, vient attiser une ambiance déjà étouffante. Plutôt de convergence, de rééquilibrage des flux, d’équipement plus maniable. De quoi rendre plus coloré et plus halluciné encore votre séjour dans cette dimension parallèle, orchestrée par les instruments-mutants de Damien Magnette (basse à percussion, mélodica d’outre-espace, micros déviants, boîtier d’effets transformés en theremin), spécifiquement conçus pour chacun des membres du groupe. Un pays de séismes étourdissants et de tempêtes triomphantes, peuplé de Talking Heads gélatineux (« Trainstation ») et de Devo esquintés (« Autofile »), où l’on danse sous fond de punk lunaire (« Carapace ») et de robot-rock hurlant (« Ik Ben Blij »). Accrochez-vous au pinceau, on retire l’échelle. Ne vous inquiétez pas. Tout va bien se passer.
Lelo Jimmy Batista
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In current times, how should mental disability be dealt with in an unrestrained, open-minded way? How can we take on this difference not as a barrier but as an opportunity? By directly confronting its creative force and abounding energy. And what better place for this than on a stage, where disability ceases to be a “negative” and becomes a “positive”, finally revealing exceptionally strong human beings, without any blinders or artifices.
From experimental group Les Harry’s, to hip-hop collective Choolers Division, to the multifaceted projects of Atelier Méditerranée (now BRUT POP), many are the initiatives that have explored this channel in recent years, arousing the interest of an audience not always prepared for the intensity of such a world. One of the most memorable initiatives being at the Sur Les Rails mini-festival, created by Atelier Méditerranée in Paris in 2014. When a handful of lucky few got to discover the Wild Classical Music Ensemble: Linh Pahm, Johan Geenens, Wim Decoene and Sebastien Faidherbe, four mentally disabled persons, led by the Belgian musician and violin-maker Damien Magnette. That evening they delivered a brutal, wild and Promethean concert to a stunned audience.
However one question remained unanswered: how to translate such a physical and visceral experience onto a record? And should it even be done? The group’s first album that was released in confidentiality on Sub Rosa, had gone under the radar and no one seemed to know how to approach it. Yet, no less than six labels (including Born Bad and Humpty Dumpty) grappled to put out Tapping Is Clapping in 2015, a new LP full of fire and fury, a record of an “other” category, dispersing any skepticism and echoing this quote from Celine’s Journey to the End of the Night: “The great fatigue of existence is perhaps, in sum, only the enormous difficulty one assumes in order to remain reasonable for twenty years, forty years, even longer; in order not to be simply, profoundly, oneself that is to say filthy, atrocious, absurd.“
And if in 2019 you still haven’t dared to let yourself be hammered by the Wild Classical Musical Ensemble’s steamroller, rest assured: the time to catch-up his here with Tout Va Bien Se Passer (Everything will be alright), the ensemble’s third record together and from far its most accessible yet. But careful, this isn’t a sort of lull, far from it – as evidenced by the exceptional “Bande De”, a furious symphony of curses on which Fabrice, the singer of Frustration, stirs up an already stifling atmosphere. It’s rather a convergence, a rebalancing of flows, and more accessible material. Making your trip to this parallel dimension more colorful and hallucinated. Orchestrated by Damien Magnette’s original instruments (percussion bass, melodica from outer space, devious microphones, effect pedals transformed into a theremin), specifically designed for each member of the group. A trip full of dizzying earthquakes and triumphant storms, populated by jelly-like Talking Heads (“Trainstation”) and damaged Devos (“Autofile”), where you will dance to lunar punk (“Carapace”) and screaming robot-rock (“Ik Ben Blij”). Hang on to the brush, we’re removing the ladder. Do not worry. Everything will be alright.
Lelo Jimmy Batista