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artist : LES CALAMITES

Release date : April 22, 2022
genres : FRENCH POP
format : CD/LP/DIGITAL
reference : BB150

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LES CALAMITES – ENCORE 1983/1987

English text below

« Je me rappelle parfaitement le jour où j’ai découvert le single entêtant Toutes les nuits sur les ondes d’Europe 1, dans l’émission de Maneval. Je sautai sur mon magnétophone pour en enregistrer un extrait que j’ai écouté en boucle, et ce jusqu’à ce que je me procure l’album À bride abattue, chez New Rose. Cet album était absolument tout ce qui me plaisait. Des compos géniales, urgentes et bien troussées. Des textes fins et malicieux, un son lo-fi spectorien comme dans les sixties avec des voix angéliques et tout plein d’harmonies. Sur la pochette, un girl group d’étudiantes en jupes serrées, queues de cheval et escarpins, qui balançaient leurs titres avec l’air de ne pas y toucher. Odile et Isabelle à la guitare, Caroline à la basse et Mike à la batterie. Une succession de tubes imparables : Toutes les nuits, Malhabile, Le supermarché, Nicolas, l‘émouvant Behind Your Sunglasses, mais aussi des reprises parfaites: Teach Me How To Shimmy, With A Boy Like You, The Kids Are Alright, You Can’t Sit Down. Que des perles. L’insouciance, le charme, l’innocence de cet album merveilleux a illuminé le début de mes eighties. Et je l’écoute encore. »  Étienne Daho

UNE HISTOIRE DES CALAMITÉS

Serait-ce rendre justice aux Calamités que de tordre enfin le cou à cet embarrassant ensemble de mots, « groupe de filles » qui leur colle à la peau et à la jupe plissée ? Ce nuage parfumé empêche en effet de les considérer tout simplement à leur juste valeur de « groupe » tout court, et de réfléchir à leur hallucinante et brève trajectoire. En quelques mois à parcourir des scènes, en une poignée de chansons originales enregistrées à droite et à gauche, elles sont devenues de Dijon à Rouen, de Paris à Toulouse, de Bordeaux à Strasbourg, les coqueluches d’une scène exigeante de rockers intransigeants. Tolérées peut-être, adoubées aussi, si besoin était. Leur monnaie d’échange, c’était des couplets-refrains originaux et rapides, pour lesquels les adjectifs « frais » et « léger » semblaient ré-inventés. Il y avait aussi, à parts égales, quelques reprises, qui donnaient une idée des racines de leur songwriting, à savoir un pied dans les années 50 (sur la piste de danse), l’autre dans les années soixante (dans le garage). Jusqu’à leur incursion finale réussie dans les sommets des ventes avec un succès populaire que tout le monde, des campings des bords de mer aux branchés de la capitale, pouvait fredonner à l’aise. Tout ce que les Calamités ont touché avec classe, rigueur, désinvolture, ce qu’il faut de distance amusée, s’est transformé en or. Pas de mystères, si peu de drames, le groupe a filé comme un météore et laissé peu de temps à son public pour réaliser l’importance de ces hymnes miniatures à trois voix, dans un style tenant à la fois d’une arrogante innocence et d’une insolente facilité. Ne jouant aucune des cartes attribuées d’office aux filles (attitudes sexy, lieux communs féministes, groupisme dilettante…), elles ont synthétisé un esprit pop adolescent avec une énergie rock’n’roll décomplexée. Trop myope pour le reconnaître, trop jalouse pour se l’avouer, un peu misogyne aussi pour l’écrire sur toutes les couvertures des magazines, la presse musicale d’ici préféra garder ce petit secret au chaud jusqu’à aujourd’hui encore, en évoquant à leur propos les mêmes images, en boucle : les bonnes copines, les grandes sœurs, les cousines sympas et blablabla. Mais les Calamités avaient à la fois ce train de retard – un certain classicisme années 50-60 ­ et cette petite avance sur les autres : leur talent d’écriture et leurs mots en français. C’était pourtant facile à comprendre. Mais quand le pays s’en aperçut, c’est vrai, elles avaient pris la poudre d’escampette. Elles n’étaient déjà plus là. Elles étaient ailleurs.

L’histoire, on la connaît, elle est dans toutes les mémoires des encyclopédistes du rock d’ici. Trois copines d’enfance, Caroline, Isabelle et Odile, montent un groupe à l’adolescence, elles habitent Beaune, en Bourgogne, sans histoire ou presque. C’est le début des années 80. De fil en aiguille, avec un répertoire moitié reprises, moitié compositions personnelles, elles trouvent un batteur après en avoir éprouvé plusieurs, enflamment les petites scènes locales, puis nationales, se lient d’amitié avec les Dogs et d’autres groupes de rock’n’roll, garage, appelez ça comme vous voulez, enregistrent un album pour le label New Rose, À bride abattue. Plutôt chouchoutées par les fanzines, puis approchées par les magazines Best et Rock & Folk, elles s’amusent à passer à la télé, régionale d’abord, puis dans Les Enfants du Rock, jusqu’à Platine 45 avec Jacky. Alors que toutes les portes leur semblent ouvertes, elles privilégient la fin de leurs études. Caroline n’y trouvant plus son compte, tourne définitivement la page, tandis qu’Odile et Isabelle poussent le bouchon un peu plus loin, et s’offrent, en duo, un tube qui trouve, sans forcer, sa place au Top 50 : le fameux Vélomoteur, produit en fan par Daniel Chenevez, moitié du duo à succès Niagara et producteur avisé. Passages télé, succès, puis l’histoire s’arrête là, sans larme, sans douleur, ou presque.

Que reste-t-il des Calamités en 2021 ? Une quinzaine d’enregistrements, déjà réédités il y a vingt ans (sur le label Last Call, affilié à la maison mère New Rose), une dizaine de passages télévisés qui flottent à droite à gauche sur les plateformes de vidéo, un site de fan complet, mais désormais débranché (Calamiteux) puis des textes d’historiens et de critiques amateurs qui resservent désespérément la même notice biographique, comme on se raconte sans fin la bonne histoire, bien cadrée : le groupe de filles super sympas qui annonçaient… Qui annonçaient quoi, au fait ? On ne sait pas trop finalement, Les Calamités restant une sorte d’anomalie, géographique, temporelle et mentale : elles ne revendiquaient rien, n’attendaient rien de personne et surtout elles s’amusaient, dans une sorte d’amateurisme clairvoyant complètement assumé qui brisait allègrement les plafonds de verre qui se présentaient à elles. Sans effort apparent, les Calamités touchaient profondément ceux qui croisaient leur route par ce talent naturel à écrire une poignée de bonnes chansons qui sont devenues des classiques. Et ça, ce n’est pas donné à tout le monde.

Avec Isabelle Petit & Odile Repolt

et par ordre alphabétique
Gilles Barjot (sonorisateur)

Marcelle Bérard (manager)

Dominique Blanc-Francard (ingénieur du son)

Daniel Chenevez (producteur)

Pierre Commoy (Pierre & Gilles)

Jean-Charles Fagot (batteur)

Robbie Fields (fondateur du label américain Posh Boy)

Lionel Herrmani (producteur – Mélodies Massacre)

François Huet (guitariste-chanteur des Snipers)

Antoine Masy‐Perier dit Tony Truant (Dogs, Wampas)

Mike Stephens (batteur des Calamités)

Louis Thevenon (cofondateur de New Rose)

Robin Wills (producteur – guitariste chanteur des Barracudas)

LA RENCONTRE

(Isabelle) Quand j’avais 10 ans, je faisais de la danse avec Odile, j’étais en classe avec Caroline et Marcelle, on habitait le même quartier. On a fait nos premières armes en chantant à l’église, c’était notre formation gospel à nous, comme les chanteurs afro-américains ! On allait à la messe de minuit, parfois un peu pompettes, on avait 16 ans, c’était l’occasion pour nous de faire des chœurs, d’essayer des façons de chanter… On a vite découvert les possibilités d’harmonies avec nos voix… Odile avait aussi un grand frère qui écoutait des trucs qu’on ne connaissait pas, puis on s’est prises de passion pour les Beatles, on s’est inscrites au fan-club, qui nous envoyait mensuellement une petite doc, avec des articles et des photos, tout cela reproduit à la photocopieuse, on était aux anges.

(Odile) J’ai fait du piano classique entre 12 et 18 ans. Quand on a commencé, je savais ce qu’était une tierce, une quinte, et je pouvais chercher les harmonies sur le piano, ça aidait. À l’adolescence, j’avais envie de sortir de cet instrument classique par excellence. Je voulais prendre une guitare, comme les Beatles, ça m’a semblé beaucoup plus facile que le piano !

(Marcelle) Je suis la quatrième Calamité. Il y avait les trois nénettes, et moi. On est des vraies amies d’enfance, on se connaît depuis le CM1, CM2, depuis l’âge de 10 ans. Isabelle, Caro et moi étions dans la même classe. Odile était dans la classe en dessous. On se voyait très souvent.

LA MUSIQUE

(Odile) Le groupe, c’est un rêve de gamine, ça semblait inaccessible. On avait surtout envie de jouer en concert à la MJC du coin, faire des morceaux. Faire des maquettes, trouver une maison de disques, on avait ça en tête assez vite.

(Isabelle) Il y avait une guitare à la maison, mon père venait de s’y mettre à 40 ans, j’essayais de m’en servir. On n’a pas pris de cours, on avait toutes une base classique, le solfège, le piano. On s’ennuyait aussi pas mal. À Beaune, quand tu es ado, il n’y a pas 36 000 trucs à faire. On a commencé par des reprises, La poupée qui fait non de Polnareff, on essayait aussi des mélodies au piano, c’était vraiment les prémices. C’est à ce moment-là qu’on a pu profiter du Club Orchestre du lycée qui nous donnait accès à un local avec des instruments et des amplis. La structure du groupe s’est mise en place, Caroline a pris la basse… On avait même une amie à qui on avait proposé de faire la batterie. Mais elle préférait sa moto. On aurait pu être quatre filles !

(Marcelle) La musique devient une passion, au lycée, vers l’âge de 15 ans. On chantait sur les disques des Beatles quand on allait les unes chez les autres. Et puis l’une a pris une guitare. Des trois, Odile est la musicienne la plus chevronnée, elle a une bonne connaissance du solfège, elle joue du piano, elle a une vraie culture, une vraie pratique et était en quelque sorte le moteur. Moi, la batterie, ça ne me tentait pas trop… Et de fil en aiguille, je suis devenue manager. On lisait Rock & Folk, Best… Caro et moi avions une assez belle collection de disques, environ 300 33t, qui allait des groupes de la Motown aux Ramones en passant par Bo Diddley, Sam & Dave, les Cramps, les New York Dolls… Tout mon argent de poche y passait. L’été, je bossais chez Prisunic, à Autun, blouse rose obligatoire, mais je portais quand même mes belles boots noires ! Avec ça je me suis acheté la chaîne stéréo Sony dont je rêvais. Les autres bossaient aussi pour s’acheter un ampli, une guitare ou une basse. La musique était un lien entre nous, le rock était un fil rouge, on parlait rock, on s’habillait rock – avec une virée à Londres pour trouver les boots. À Beaune, on ne connaissait pas beaucoup de gens comme nous.

(Odile) Le processus d’écriture était collectif, le but était de faire des choses qui nous plaisent ensemble, jouer de la musique, composer des morceaux et écrire des paroles. Les paroles venaient et on essayait de trouver une mélodie, ou l’une de nous venait avec un gimmick de guitare et on cherchait la suite. C’était très intriqué.

(Marcelle) J’étais tout le temps-là quand on répétait les dimanches, quand on jouait, quand on composait… Pour les paroles, chacune amenait des idées, un bout de phrase, c’est bien, ce n’est pas bien, on arrangeait ça… Sur Toutes les nuits, il y a « pour un endormi qui le lendemain ne se souvient de rien », on avait au départ « pour un endormi qui ne me croit même pas ». C’était un travail d’écriture collectif, on se tordait de rire, c’était de grandes parties de rigolade. Pareil pour la musique, l’une amenait des accords, Caro posait sa ligne de basse… Une autre chantonnait un air sur la musique et on collait tout ça ensemble avec les paroles. Mis à part Nicolas qu’Odile avait écrite toute seule. Chanter en français, c’était revendiqué et puis on ne se serait pas autant amusées à écrire des paroles en anglais, c’était un vrai choix. On a quand même Behind Your Sunglasses qui est en anglais !

(Isabelle) On composait ensemble : l’une de nous arrivait avec une ligne de guitare, on brodait dessus, une autre arrivait avec un bout des paroles, on les complétait… C’était collectif. Mais pour Malhabile, c’est Marcelle qui a écrit les paroles. Les autres, c’était par petits bouts, il y avait un esprit. Il n’y a jamais eu vraiment de trucs personnels, je n’ai pas de souvenirs d’accrochage entre nous. Caroline a écrit Behind Your Sunglasses, on a peut-être modifié quelques mots ou une phrase, mais c’est tout. En fait, ça se faisait naturellement, mais pas très vite, parce qu’on était toutes aussi fainéantes : on commençait toujours par prendre le thé avant de jouer ! C’était surtout le plaisir d’être ensemble. Tout ça s’est donc construit petit à petit.

(Odile) Il y avait ce Club Orchestre au lycée, et on s’est dit qu’on voulait participer au show final de l’année suivante. Le club, c’était surtout un local avec du matériel à disposition. En s’inscrivant, on avait accès à tout ça. Et pour la fête du lycée, les groupes constitués inscrits au Club pouvaient jouer.

(Marcelle) Ce qui a aidé, c’est que ma mère, qui travaillait au lycée, nous a donné accès au Club Orchestre. Il y avait des guitares, des basses, des amplis, on a commencé à jouer là. Notre premier concert, c’était pour la fête des internes à Noël en 1980 au lycée. Nos parents ont toujours été bienveillants concernant nos activités et ils étaient très contents du succès naissant. Ils savaient aussi très bien qu’on menait nos études en parallèle, Odile a eu le concours de médecine du premier coup ! On a toutes mené des études supérieures, Odile est médecin, Caro a un master en langues, Isabelle en lettres et moi en bio. On combinait bien les deux, études et musique

ANVERS / MUGUET

(Odile) Je suis un peu la mémoire du groupe, j’ai tout noté au fur et à mesure : alors, 1er avril 1981, premier concert sous le nom de Caribout, en première partie de Botrytis (le groupe dans lequel jouait aussi Jean-Charles, notre batteur de l’époque) à la Viti (le lycée viticole de Beaune). On avait joué Foutoir de Lili Drop, Highway To Hell de AC/DC, Anarchy In The UK des Sex Pistols, Mongoloid de Devo, I Don’t Care des Ramones et nos morceaux Muguet et Florence. 

(Marcelle) Avant de s’appeler Les Calamités, on a eu plusieurs noms, certains très tartes, par exemple : Caribout, avec un « t » à la fin. La presse locale s’était bien fichue de nous à cause de ce « t » !

(Jean-Charles) Je suis le premier batteur des Calamités, on a répété pendant un an, il me semble. On avait 16-17 ans. On était allés enregistrer à Chalon-sur-Saône. Si je me souviens bien, on avait un morceau qui s’appelait Tube à essai, « Tube à essai, tu m’as laissée… » ! Après, je me suis pété le genou au foot, j’ai dû me faire opérer et du coup les filles ont changé de batteur. Plus tard, j’ai joué dans un groupe signé chez CBS, Impact sur la Banane, un groupe de Beaune, j’ai joué comme musicien de session, puis je suis devenu restaurateur (L’Auberge du Vieux Vigneron) et viticulteur.

(Odile) La première maquette, c’est septembre 1981. Dans mon journal : « Studio Multisons

à  Chalon : Anvers, Muguet et Tube à essai ». C’était des morceaux pas très aboutis, pas bons même. Il faut bien commencer par quelque chose. C’était un peu new wave, pas assez rock, ça n’était pas ce qu’on voulait faire. On a appris sur le tas. Quand je réécoute, ça me fait sourire. C’était mignon. C’est surtout qu’à chaque fois qu’on composait un nouveau morceau, on trouvait le précédent moins bien, toutes les faiblesses apparaissaient. On progressait comme ça, petit à petit. En décembre 1981, d’après mon journal, on fait Supermarché. Début 1982, Nicolas. Et ainsi de suite, du coup, on n’avait plus envie de jouer les premiers, naturellement.

BEAUNE-DIJON

(Isabelle) On s’était cotisées pour cet enregistrement parce qu’on avait vraiment envie que ça aboutisse. Mais on n’avait pas d’ambitions démesurées. Enregistrer un disque, c’était dans nos rêves les plus fous. Un ou deux titres (Muguet et Anvers) ont été filmés par France 3 Bourgogne à l’époque, ils sont d’ailleurs visibles sur les archives de l’INA… On était super ravies de faire des petits concerts, déjà. Tout s’est enchaîné, on a eu de la chance. On ne réalisait pas, à l’époque, comment tout ça se passait. Plus tard, quand on est parties en fac à Dijon, on traînait avec des copains musiciens. C’est avec eux qu’on a approfondi l’option rock’n’roll ! On répétait tous les week‐ends dans le sous-sol de la maison des parents d’Odile, à Beaune, juste à côté de la cave. On a souvent entendu : « Vous allez faire tourner le vin » ! On avait collé des boîtes d’œufs au mur, pour insonoriser, et mis des affiches.

(Marcelle) A partir de 1981-1982, quand on a commencé à sortir, on allait souvent à Dijon, où on avait des copains musiciens, comme les Snipers, où Antoine avait fait ses débuts avant de partir rejoindre les Dogs… C’est lui qui a trouvé ce nom, Les Calamités.

(Antoine) Quand elles ont commencé à faire des trucs dans le coin de Dijon, je n’étais déjà plus là. J’étais déjà parti à Rouen. Je les rencontre pour la première fois à Nuits-Saint-Georges, à la salle des fêtes. Je tiens la basse dans un groupe, Les Bavures. Elles étaient venues voir ce concert, un samedi soir. J’avais l’impression qu’elles se foutaient de notre gueule, elles m’ont dit plus tard que ça n’était pas du tout le cas. Je crois qu’elles avaient un autre nom à l’époque. Elles jouaient déjà, elles faisaient des reprises. Je revenais voir ma maman à Beaune de temps en temps, parce que j’étais encore au lycée, mais à Rouen. On se voyait, on traînait ensemble. Elles cherchaient un nom de groupe et c’est à ce moment-là, je crois, hein, que je leur ai trouvé un nom, un nom marrant. Elles étaient rigolotes, elles déconnaient tout le temps. Je ne sais pas d’où ça vient, ça me faisait marrer, je trouvais que c’était un bon nom de groupe. Peut-être que ça venait de Calamity Jane, je ne sais plus.

(Odile) On a eu plusieurs noms, on changeait toutes les semaines, on n’arrivait pas à trouver. J’ai retrouvé, dans mon journal, le jour où on a pris le nom Les Calamités. C’est bien Antoine qui avait proposé ce nom, lors d’une fête sans doute. Mais on hésitait encore, ça s’est décidé plus tard, à l’occasion d’un voyage à Paris avec Caro pour un concert des Clash. Ah oui, on était allées, quelques jours avant, faire notre première maquette à Chalon, avec Muguet, Tube à essai. Isabelle, Tatane (Antoine) et Caro, en écoutant l’émission de Philippe Manœuvre à une heure du mat’, avaient entendu dire que le vendredi soir suivant serait réservé au « rock féminin ». Alors on a décidé de tenter notre chance ! Voilà ce que j’ai écrit dans mon journal de l’époque : « Vendredi 25 septembre 1981 : départ à 6 heures pour Paris en voiture avec Marie-Laure (la sœur de Marcelle). On commence par se paumer dans le métro, avant d’arriver à l’appartement de nos copains. Après avoir bouffé, nous partons toutes les trois, Caro, Loute (une copine) et moi, à la Maison de la Radio avec notre bande magnétique. Un gros bluff à l’entrée et nous pénétrons dans la place. Patrice, sympathique collaborateur de Manœuvre, nous reçoit, très surpris, et nous propose, à défaut de faire écouter notre bande, d’assister à l’émission en direct. On fait la connaissance de Philippe Manœuvre et Antoine de Caunes. Ils sont très gentils avec nous. Manœuvre s’intéresse beaucoup à ce qu’on fait. Au beau milieu de l’émission, il annonce qu’il y a en ce moment avec lui dans le studio, trois jeunes filles, Les Calamités, venues de Dijon avec leur bande, leur chanson passera lundi soir. Quand Manœuvre nous a demandé notre nom, on lui a laissé le choix entre Les Perverses Mémères et les Calamités, ce dernier fut adopté tout de suite !  Marcelle, Antoine ont entendu l’annonce. À la fin de l’émission, toute l’équipe du studio écoute notre bande, des remarques bien sûr, mais dans l’ensemble, on trouve ça bien. Je donne une cassette à Manœuvre qui nous donne son numéro de téléphone, Antoine de Caunes nous laisse son adresse, « envoyez-moi une cassette ». Retour à l’appartement à deux heures du mat’. »

(François) J’ai été vraiment proche des Calamités, j’ai fait à peu près tout : j’ai été leur roadie, je leur ai prêté mon ampli, j’ai accordé leurs guitares, j’ai conduit leur camionnette. J’ai même été leur batteur, elles en ont usé beaucoup. Un jour, elles avaient deux concerts à Lyon et j’ai assuré la batterie. Chauffeur, roadie et batteur pendant 48 heures ! J’ai fait mon premier groupe, les Snipers, avec Antoine et deux autres musiciens, dont Jupp, qui est devenu bassiste des Vietnam Veterans, de 1979 à 1981 environ. On était un garage band. Après, je pars à l’armée et Antoine part à Rouen chez les Dogs. Quand je reviens, Antoine me dit qu’il connaît des mecs super avec qui je devrais continuer. Ce qui deviendra les nouveaux Snipers. Les Snipers se sont formés, puis reformés. Antoine nous a présenté les Calamités à un de nos concerts, à Besançon. Elles étaient venues avec lui, deux motos, une voiture, c’est là que je les ai vues pour la première fois, début 1982. Elles ne s’appelaient pas encore les Calamités. On était un peu leurs grands frères, on leur prêtait notre matériel, nous, on tournait déjà. Enfin, au début, on les aidait, après c’est elles qui nous ont aidés. Pour elles, ça a décollé ! Nous, on est restés au garage !

(Odile) Le milieu dans lequel on a fait de la musique était essentiel. Si on n’avait pas baigné là‐ dedans, on n’aurait jamais poursuivi Les Calamités, eu cette « éducation » musicale en croisant tous ces copains musiciens. Ils étaient plus âgés, ils avaient une culture qu’on n’avait pas. On n’aurait pas du tout progressé sans ça, c’était une émulation. On s’écoutait, on trouvait des concerts. On était impressionnées par la façon dont les Snipers jouaient par exemple, on n’était pas de grandes instrumentistes, on apprenait beaucoup en les regardant, c’est sûr. C’est François qui nous a fait découvrir des tas de groupes qu’on ne connaissait pas. On passait des soirées à écouter des disques. Bon, je ne découvrais pas beaucoup par moi-même, de mon côté, acheter des disques, chercher des trucs dans les magasins, ça me gonflait. Je ne suis pas super attachée à l’objet en plus.

(François) J’avais une belle collection de disques : les Barracudas, les Flamin’ Groovies, les Plimsouls, les Real Kids, le Velvet Underground, les Fleshtones, les compilations Nuggets… J’ai essayé de convertir les filles aux Rolling Stones, parce qu’elles étaient très Beatles, mais ça n’a jamais marché, sauf avec Marcelle !

(Odile) On aimait bien Téléphone, on avait fait une reprise, je ne sais plus laquelle. On jouait aussi Betsy Party de Starshooter. J’étais très branchée AC/DC, j’étais la seule ! Pour les reprises, on s’orientait vers des chansons qui nous permettaient de faire des harmonies. Antoine et François nous recommandaient des chansons.

(Isabelle) Le son des Calamités ? Plus que le son des guitares, ce sont les voix bien sûr, le plaisir de composer ensemble, de placer des harmonies. Mais ce que je préfère, c’est chercher des mélodies. J’aime vraiment ça. On voulait écrire en français, des textes qu’on trouvait amusants, sans prétention. On n’avait pas de modèles, on n’aimait pas trop la chanson française de l’époque. Mes références, c’était plutôt les chansons rigolotes des années 1930. Malhabile et Toutes les nuits restent mes chansons préférées.

SNAPSHOT(S)

«  ON EST TRES CONTENTES D’AVOIR PASSE UNE SEMAINE AU SOLEIL EN COMPAGNIE DE GENS CHARMANTS. IL Y AVAIT UN FLIPPER, UN BABY FOOT ET UN PING-PONG POUR NOUS DISTRAIRE QUAND ON ETAIT FATIGUEES DE GRATTER NOS PETITES GUITARES… » ROCK HARDI, AVRIL 1984

(Isabelle) On entend parler de cette compilation d’un label à Bordeaux, les Snipers nous incitent à envoyer une cassette. On avait Je suis une calamité à l’époque, co-écrite avec Antoine. Finalement, on est invitées, sans doute parce qu’on était le seul groupe de filles. On a quelques idées sur la façon dont on aimerait sonner mais on ne savait pas forcément l’exprimer, et la chanson telle qu’elle est enregistrée sur la compilation Snapshot(s), ça nous plaît. Je ne sais plus si on s’est beaucoup impliquées, notamment pour le son, le mixage… On était dilettantes, on était ravies d’être là surtout, de profiter, de jouer. Tout le monde avait l’air content, donc on s’est dit, c’est pas mal !

(Antoine) J’ai écrit les paroles de Je suis une calamité, et du morceau Le supermarché, dans l’esprit de Jonathan Richman. Quand je jouais avec les Snipers, on avait chanté ce texte, sur une autre mélodie, mais je n’ai rien enregistré avec eux quand j’étais dans la formation. L’inspiration pour les textes, c’était plutôt des écrivains, des humoristes du XIXe, les Hirsutes, les Zutistes, Alphonse Allais… Quand j’ai écrit Je suis une calamité, je pensais à une clique de filles qui déconnent, c’était intéressant de se mettre à la place d’une fille. Au bahut à Rouen, j’adorais les Dogs et les Olivensteins. Je me débrouillais pour qu’il y ait une connexion avec les Calamités, avec les Snipers aussi, les faire venir, les faire jouer, distribuer des 45t. Elles ont joué sur la tournée Too Much Class For The Neighborhood (Dogs), à Dijon et Châlon-Sur-Saône, on faisait des reprises avec elles. Elles étaient vachement bien accueillies par le public. En ce moment, j’habite Sète. Elles y ont joué, au Heartbreak Hotel, une petite salle où il y a eu plein de trucs entre 1984 et 1987, Alex Chilton, Willie Loco Alexander… Les gars se souviennent encore d’elles.

(Marcelle) La compilation Snapshot(s)  va nous porter. C’était en mai, après les partiels, le père d’Odile nous avait prêté sa CX Pallas pour aller au studio… Pendant l’enregistrement, on n’a pas croisé les autres groupes (qu’on connaissait de réputation), à part les Snipers, bien sûr, avec qui on a fait le chemin depuis Dijon. On était contentes de rencontrer les Barracudas. On s’est super bien entendues avec Chris Wilson et Robin Wills qu’on a retrouvés par la suite, plusieurs fois, quand ils tournaient. Je me souviens de deux concerts, à Dijon à l’amphi Aristote, les Barracudas le lundi, les Real Kids le mardi…

(Odile) Mes parents sont sympas, ils me prêtent leur voiture. On fait un convoi avec les Snipers et en mars 1983, on traverse la France direction Bordeaux pour rejoindre le Studio du Manoir où sera enregistrée la compilation Snapshot(s) qui regroupe divers groupes français dont les Snipers, les Rythmeurs (ex Olivensteins, des copains aussi)  et nous. Robin Wills des Barracudas et Chris Wilson des Flamin’ Groovies produisent l’album.

(François) C’est Patrick Mathé (co-fondateur du label New Rose) qui a insisté pour que les Calamités soient de la partie. Antoine et moi lui en disions le plus grand bien. Pour l’enregistrement, c’est le batteur des Snipers qui a joué avec elles d’ailleurs. La compilation les a mises en valeur : beaucoup disaient que le meilleur morceau, c’était le leur. Du coup, Mathé a dit : « Ok, test passé, je leur fais faire un disque ». Nous, on avait déjà sorti notre premier album sur New Rose, avec Lionel d’ailleurs, on avait eu bonne presse, après on avait tourné avec les Real Kids et on avait enchaîné Snapshot(s), on était chauds bouillants !

« LE GENRE DE PAROLES QUI NOUS PLAIT, C’EST CELLES QUE FONT LES FRERES TANDY (OLIVENSTEINS), OU BIEN ANTOINE DES DOGS » NINETEEN, MAI 1985

(Isabelle) À cette époque, les Snipers, les Dogs, les Olivensteins sont nos références. Et on écoutait beaucoup de groupes de filles, les Bangles, les Go-Go’s, les groupes Motown. Pour ce qui est des guitares, on voulait juste que ça sonne rock’n’roll. Moi, j’ai toujours eu une Telecaster, avec un ampli Vox AC30 de 1963, ça m’allait bien, mais je ne me posais pas trop de questions ! Je faisais mes réglages d’ampli en répét’ et sur scène, j’avais un son dans l’oreille que j’essayais de retrouver. Odile jouait sur un ampli Marshall 100 watts JCM 800 avec une Gibson ES-345-TD STEREO, ça se complétait bien.

(Robin) En mars 1983, on tournait avec les Barracudas en France pour l’album Mean Time. À Bordeaux, on a rencontré William Miallet et Bernard Issartier. Ils avaient approché Chris Wilson, mais il n’avait pas d’expérience d’enregistrement, alors ils m’ont demandé, et on a fait ça à trois, avec mon ami Nigel Barker, un ingénieur du son pas trop cher. L’idée était d’enregistrer des groupes français en mai, au studio du Manoir, dans les Landes. Ils nous avaient donné des cassettes, deux groupes sortaient du lot : Gamine et les Calamités. Je traînais avec Antoine et les Dogs, on connaissait les liens entre les groupes. Sur la tournée des Barracudas, on a rencontré les Calamités à Dijon. Jim (Dickson) était malade, il ne pouvait pas faire la balance, du coup, Caroline l’a remplacé à la basse. Bref, on est rentrés à Londres, on a préparé l’enregistrement qui était bien payé, et même si on n’avait pas le choix des groupes, je crois qu’on choisissait les morceaux. On est arrivés dans ce grand manoir, où on logeait. À côté, il y avait une immense grange qui faisait office de studio. Les prises de son étaient difficiles, tout sonnait étouffé. Les groupes jouaient en live – y a‐t‐il une autre façon de faire ? On a fait ça sur un mois, un groupe débarquait tous les trois jours. C’était la fête aussi, disons, il y avait des substances, des accidents de voiture, c’était un peu la folie. Les Calamités sont arrivées vers la fin, on était bien rôdés. On a enregistré Je suis une calamité, ça n’était pas Mike à la batterie, mais le batteur des Snipers, Fred Belin. On a remarqué qu’Odile était une musicienne accomplie, Caroline avait un côté Ramones, elles apprenaient encore leurs instruments. Ce qui était super : leurs voix, devant un micro, elles avaient compris le truc… Paroles, mélodies, voix étaient au centre de leur musique. On était allés jusqu’à Bayonne pour acheter des clochettes et des castagnettes pour sonner comme du Phil Spector. C’était frais, sympa, tout semblait facile. On a ramené les bandes à Londres pour mixer.

MIKE

(Odile) « Juillet 1982 : première répétition avec Mike ». On a tout de suite été conquises !

(Mike) Je suis natif de Manchester. Ma passion, c’était le vin. Je faisais partie d’un club de dégustation à l’université à Bradford, et je suis tombé amoureux du Bourgogne, pendant un séjour à Paris où j’étais en stage. En 1980, j’ai 20 ans, je décide tout de suite de repartir en France. J’ai frappé à la porte de plusieurs maisons de négoce, et c’est Louis Latour qui m’a accueilli. J’avais mis une petite annonce chez le disquaire de Beaune : « batteur cherche groupe ». Je ne sais pas si les filles ont vu ça, parce qu’en même temps, un ami commun, Jacques Guillemin, qui travaillait pour la radio suisse rock Couleur 3, a dit aux filles : « Je connais un bon batteur, vous devriez le prendre. » Je suis devenu le septième et dernier batteur du groupe, on devait être en 1982, 1983. Ça me plaisait bien de jouer avec trois filles ! J’étais autodidacte, j’avais juste pris des cours quand j’avais 10-11 ans. J’écoutais beaucoup de rock progressif anglais, Yes, Genesis, de la merde comme ça. Et puis j’ai complètement changé de direction, je suis tombé amoureux de Stax, Motown… Pour moi, le plus grand batteur, c’est Al Jackson Jr de Booker T. and The M.G.’s., très précis, très fin, toujours parfait. À l’Université, j’ai vu Elvis Costello, Chelsea… Mais très vite, j’étais en France.

(Isabelle) On a quand même eu un paquet de batteurs. Il y a eu Jean-Charles, Watson… Sept, c’était un peu un mythe, certains n’ont joué qu’une soirée ! Parce que ça ne nous allait pas ou qu’on ne sentait pas d’affinités… Avec Mike, ça a marché tout de suite et c’est avec lui qu’on a vécu toute cette aventure. Il n’était pas dans notre sphère habituelle, c’est peut-être pour ça.

(Marcelle) Je m’entendais bien avec Mike, il avait plus un profil HEC que Rock’n’Roll High School, mais c’était tellement cool d’avoir enfin trouvé THE batteur. Quelle rigolade de le voir débouler sur scène en kilt ! Il lui arrivait de perdre parfois son flegme britannique à la fin des concerts, quand il fallait démonter et ranger sa batterie alors que tout le monde avait déjà fichu le camp au bar. Alors je m’y collais avec lui pour éviter les incidents diplomatiques ! Tourner sans roadie, c’est comme ça…

(Mike) Avec les filles, on était sur la même longueur d’ondes, je comprenais ce qu’elles voulaient. À l’époque, je jouais au foot à Beaune, je prenais ma douche après le match, et je filais chez Odile et on répétait au sous-sol, tapissé de boîtes d’œufs, jusqu’à 21 heures. Au moins une fois par semaine. On tournait le week‐end. Les trois filles étaient très soudées, avaient leurs idées. Moi, j’étais en retrait, je me concentrais sur la rythmique. Elles pouvaient compter sur moi, sans que je sois trop envahissant. Je vois ça comme ça. Je jouais un rôle mineur, je faisais quelques suggestions. C’était elles les vedettes, mais ça ne nous empêchait pas de former une bonne bande d’amis avec le même amour de la musique et du vin de Bourgogne !


À BRIDE ABATTUE

« NOUS AVONS CHOISI LIONEL COMME PRODUCTEUR PARCE QUE C’EST LE SEUL EN FRANCE QUI SOIT CAPABLE DE PRODUIRE DES GROUPES DE ROCK. » ROCK HARDI, AVRIL 1984

FILLES SANS FIL – LES CHEFTAINES MAINTENANT, CE SONT LES CALAMITES. DES BOURGUIGNONNES POINTUES, QU’ON AVAIT D’ABORD REMARQUEES SUR LA COMPILATION SNAPSHOT(S). SEULES DEMOISELLES AU MILIEU DE CES GANGS DE MECS TOUS CONFITS DANS LE SERIEUX DE LEUR MISSION NEO-PSYCHEDELIQUE, ELLES ECLATAIENT GRACE À LEUR FRAICHEUR, LEUR INSOUCIANCE ET LEUR EFFICACITE. DEPUIS PEU, ELLES ONT UN MINI-ALBUM GAGNEUR, PRODUIT PAR LIONEL HERRMANI, L’EX-MENTOR DES DOGS. DANS LEURS COMPOSITIONS, LES HISTOIRES QU’ELLES RACONTENT PERMETTENT UN REGARD NOUVEAU SUR LE THEME ETERNEL DES ROCK SONGS : LES RAPPORTS FILLES / MECS. LA BONNE SURPRISE, C’EST AUSSI QU’ELLES ONT SEDUIT LES PROGRAMMATEURS RADIO, ET QU’ELLES SONT PARTIES POUR VENDRE CONFORTABLEMENT LEUR PREMIER BEBE. ON SOUHAITE LES VOIR BIENTOT SUR LES PLANCHES. JEAN-ERIC PERRIN, BEST N°190, MAI 1984

LE PREMIER SIMPLE DES AFFRIOLANTES CALAMITES DIJONNAISES SORT EN JANVIER CHEZ NEW ROSE. TELEGRAMMES, ROCK & FOLK N°204, JANVIER 1984

LES GO‐GOS SONT 100% FILLES, ET DANS LA MEME CATEGORIE, LES CALAMITES TRICHENT, PUISQU’IL Y A UN MEC A LA BATTERIE. MAIS LEUR 33 EST UNE MERVEILLE, A L’AISE UN DES DISQUES DE L’ANNEE. FONCEZ VOUS PAYER ÇA. BRUNO BLUM, GAZOLINE POUR TA PLATINE, ZOULOU N°6, SEPTEMBRE 1984

(Isabelle) On n’avait pas beaucoup de compos, parce qu’on travaillait lentement, alors on a ajouté quelques reprises qui nous plaisaient. Patrick Mathé n’était pas sûr de son coup, je pense, il voulait que Lionel produise. On a appris plus tard que Lionel n’était pas super chaud, c’est Antoine qui l’a convaincu. Antoine, il nous a toujours poussées, il était toujours très enthousiaste, il a trouvé notre nom, il a écrit notre premier morceau, s’il n’avait pas été là… Pour New Rose, on était contentes, on aimait bien ce label, on allait à Paris au magasin régulièrement, pour fouiller dans les bacs, on n’imaginait pas mieux.

(Lionel) Patrick Mathé m’appelle à Mélodies Massacre, mon magasin de disques, un après-midi. « J’ai un groupe de filles de Beaune, est-ce que ça t’intéresse de les produire ? ». Je lui réponds : « Non, je ne crois pas ! ». Mais je lui dis que je vais réfléchir – ce qui m’étonne de moi ! Dans le magasin, entre Antoine. Il était souvent là, il séchait le bahut, c’était l’époque où il commençait à jouer avec les Dogs. Je lui dis que Patrick Mathé venait de m’appeler. Je lui raconte. Et là, plein d’enthousiasme, il s’excite : « Il faut absolument que tu le fasses ! ». J’avais confiance en lui, je connaissais ses goûts… J’ai rappelé Patrick, et je lui ai dit : « D’accord ! ». Il m’a dit : « Occupe-toi de tout ». Et j’ai dit oui, sans les avoir entendues. J’ai écouté ensuite une cassette, j’ai même pris des notes que je dois avoir quelque part : trop de voix, pas assez de voix, trop rapide… Les paroles m’ont amusé, très différentes de ce qu’on entendait en général. Elles m’ont fait penser à certaines chansons de Lieber & Stoller qui, dans les années 50 et 60, écrivaient des merveilles de drôleries rock’n’roll. Avant l’enregistrement, je suis allé voir les Calamités jouer dans la cave du père d’Odile.  J’ai autant apprécié le Bourgogne de son père que leur musique !

(Odile) Je n’ai jamais trop fait de recherches de sons. On voulait que ça sonne bien, que les voix soient justes. On ne se prenait pas trop la tête sur les arrangements, Lionel a fait ça très bien. Moi de toute façon, je n’aimais qu’un seul son : la Gibson branchée dans l’ampli Marshall, juste ce qu’il faut de larsen, un son bien gras, et j’étais contente avec ça !

(Lionel) « Un peu de nerf, vous sonnez comme Sœur Sourire, là ! » Ça a été très facile de travailler avec elles. Je n’ai jamais enregistré dans une optique commerciale, je voulais faire des bons disques qui plaisent, qui émeuvent. Et avec les Calamités, c’était du gâteau. Je réglais parfois les amplis guitare, on changeait un truc par-ci par‐là. Les filles jouaient, elles avaient leur style et Odile avait une très bonne oreille, je l’appelais George (Harrison) parce qu’elle sortait des solos absolument incroyables. Plus tard, j’ai dit à Isabelle : « Écoute ce solo d’Odile sur Le supermarché, il est super ! ». Elle m’a dit : « Ouais, c’est moi qui joue » ! J’ai eu des surprises en les écoutant. Le propriétaire du studio, Pat Bouchard, était un gars au look de bûcheron (barbe, chemise à carreaux, casquette), avec les filles, ça chahutait, ça rigolait, ça s’envoyait des vannes… Je le sentais un peu perplexe, je le vois encore, appuyé sur sa console, il ouvre trois micros, elles sont debout en ligne derrière la vitre du studio, elles se mettent à chanter comme ça, a cappella, The Kids Are Alright (qui n’était pas prévu à l’enregistrement…). Il tombe sur le derrière – dans son fauteuil heureusement – sidéré par la présence, la vie, ce grain des voix bien particulier qui explosait dans les haut-parleurs de la cabine son ! Son assistant fait la même bobine que lui… Moi aussi ! Ça sortait tellement bien qu’on l’a enregistré ! Pas besoin d’ajouter des fanfreluches, tout était déjà là. Un disque de rock ! il n’y avait plus qu’à poser ces voix sur deux guitares, une basse et une batterie au carré qu’on avait déjà enregistrée ! Chaque fois que je les entends chanter toutes les trois, ça me laisse sur le flanc. Elles débordaient d’idées. Il fallait canaliser ça, elles faisaient trois voix différentes bien sûr, mais elles pouvaient en faire neuf, douze, quinze, à un point que je devais les brider.

(Mike) L’enregistrement, c’était bien, si ce n’est que l’ingénieur du son voulait mettre des sourdines partout sur mes fûts. On faisait de longues journées, on terminait à trois, quatre heures du matin. J’ai complètement planté la fin de Supermarché à cause de la fatigue… C’est pour ça qu’on l’a shunté. J’adore Supermarché et Malhabile.

(Isabelle) Concernant l’esthétique de la pochette, ou notre apparence, on n’y a jamais vraiment réfléchi. Sur scène, on aimait bien mettre des tenues sixties, avec des robes à fleurs, des chemisiers à pois, des talons hauts… On s’habillait comme ça, on n’était pas déguisées. Pour la pochette on a fait des photos dans le studio et aussi à l’extérieur, on était en pleine campagne, en Normandie, au mois de novembre, et nos talons aiguilles s’enfonçaient dans la boue au milieu des prés !

(François) J’étais à l’enregistrement ! Je suis même sur la pochette : il y avait eu une séance en plein air, avec du brouillard. On voit une silhouette au loin, c’est moi ! Je tenais leurs manteaux, parce que c’était en plein hiver, et qu’il faisait froid.

(Isabelle) À bride abattue est un vrai déclic, ça correspond vraiment à ce qu’on avait en tête, on s’est senties un groupe à part entière, on est allées au bout : faire des concerts, enregistrer un disque. Lionel est aux manettes, clairement, mais on a notre mot à dire, sur les prises, le mixage…

(Lionel) Avec les Dogs, les Olivensteins, les Calamités, c’est un état d’esprit, c’est ROCK ! Il fallait que ça pulse, que ça chauffe, que ça procure de l’émotion. À mes oreilles, mission accomplie ! Avoir produit ces trois groupes-là, c’est ma grande fierté ! Qui dit mieux ?

(Daniel) Je passais pas mal de temps chez Rennes Musique, le magasin de disques mythique de la ville. J’écoutais beaucoup de choses très diverses et je regardais dans le bac nouveautés ce qui pouvait m’intéresser. Début 1984, je vois cet album, le nom du groupe que je trouve génial, ce groupe de filles à l’allure très différente de la scène rock de l’époque avec les jupes crayon, les pulls à col roulé et surtout, il y avait des chansons en français. Rien qu’à la pochette, c’était déjà extrêmement intrigant. Comme j’étais DJ dans des clubs de la ville, j’avais accès à la cabine d’écoute du magasin équipée d’une platine, et là, ça a été une claque immédiate : les harmonies vocales, les textes qui fonctionnaient au premier et au second degré. Toutes les nuits m’a accroché tout de suite mais c’est Le Supermarché qui m’a tué. Cette chanson, c’était à la fois frais, ultra-réaliste, teinté d’ironie avec des qualités harmoniques et mélodiques qui me faisaient penser aux Mamas And The Papas. C’était extraordinaire et unique, on n’avait jamais vu ça en France. Je suis devenu fan instantanément.

(Marcelle) L’enregistrement avec Lionel est un super souvenir, j’ai fait des maracas et du tambourin ! On était comme hors du temps, suspendues… Quelle fierté aussi d’avoir assisté à l’enregistrement d’un album qui a été classé dans les 100 meilleurs albums français par les Inrocks en 2017.

DES CHANSONS CINGLANTES ET LIBRES, QUI CRISTALLISENT LEUR MESSAGE EN DEUX MINUTES. ENTRE RAGE GARAGE ET DOUCEUR DES GIRL GROUPS DES SIXTIES, CES TROIS JEUNES SAUVAGEONNES DE BEAUNE SONT UN CAS À PART DANS LE ROCK FRANÇAIS. SOUVENT COMPARÉES AUX GO-GO’S, ELLES CHANTENT L’INSATISFACTION AMOUREUSE ET L’ENNUI PROVINCIAL D’UN TON PIQUANT ET DÉTACHÉ, EN DONNANT UN POINT DE VUE FÉMININ TROP RARE DANS LE ROCK HEXAGONAL. NOÉMIE LECOQ, LES INROCKUPTIBLES, HORS-SÉRIE : LES 100 MEILLEURS ALBUMS FRANÇAIS, 2017

CONCERTS

«  – JE NE SAVAIS PAS SI VOUS SERIEZ CAPABLES D’ASSURER SUR SCENE…

«   – TU N’Y CROYAIS PAS, HEIN ?

«  – C’EST BIEN CE QUE JE VOULAIS DIRE…

«  – (RIRES) »

BALANCE BABY, MAI 1984

(Odile) Je relisais, dans mon journal intime de l’époque, la description de ces premiers concerts : le stress, les problèmes de matériel, les sonos ne marchaient jamais, on n’avait jamais assez de micros, jamais le temps de faire une balance. En revanche, dès qu’on entrait sur scène, on oubliait tout, c’était merveilleux.

(Isabelle) La renommée qui s’ensuit est limitée à un public averti, qui aime les mêmes choses que nous, qui vient nous voir en concert. On se sentait surtout faire partie d’une communauté, on était reconnues même si on avait parfois des remarques acides sur nos capacités musicales ! Ce n’était pas important. On avait conscience qu’on avait à bosser pour atteindre le niveau de certains de nos copains musiciens. On le savait, mais on s’en fichait aussi. On se disait : « allez, il faut qu’on bosse », puis on allait prendre le thé…

(Marcelle) Manager les Calamités, c’était pas de la tarte ! Il y en avait toujours une en exam… en partiel… en révision. À partir d’avril, je devais négocier chaque date de concert avec les filles, mais finalement, on partait quand même et au bout du compte, tout le monde validait son année! À nos débuts, on a écumé toutes les salles de la Côte d’Or entre Beaune et Dijon. Quand je reprends la liste de nos concerts, je m’aperçois que par la suite on a sillonné toute la France : Paris (Eldorado et Grand Rex), la Suisse, deux fois le printemps de Bourges, Metz, Nancy, Blois, Troyes (avec les Wampas en première partie !), le Havre, Rouen, Toulouse, Sète, Perpignan… Tous les cinq empilés dans un van avec le chauffeur, plus le matos, les bouteilles de Bourgogne de Mike, les cakes qu’on avait cuisinés avant de partir… À cette époque, j’ai rencontré d’autres managers. En général, ils étaient habillés comme les membres du groupe qu’ils accompagnaient, sauf qu’ils avaient une mallette noire à la main ! Les tournées, c’étaient plutôt sur trois dates ! Et avec chaque fois Sète ou Toulouse ! Il est arrivé qu’elles fassent deux concerts le même soir, car la salle était trop petite pour accueillir tout le public, comme à l’École Centrale à Châtenay-Malabry en avril 85. Mais on a aussi refusé une tournée en première partie des Forbans. Quand ça ne nous plaisait pas, on pouvait se permettre ce luxe, parce qu’on savait que notre carrière n’allait pas en dépendre. À l’inverse, on était fières comme des coqs de jouer avec les Barracudas, les Dogs, les Kingsnakes. J’appelais parfois les salles, mais on était le plus souvent sollicitées. Je n’étais pas non plus la manageuse la plus carrée mais je savais bien négocier les cachets et gérer la « caisse noire » ! J’étais en même temps la fan numéro un, toujours là pour les concerts, roadie, habilleuse, maquilleuse, psy, assistante éclairagiste de notre fidèle sonorisateur, Gilles Barjot.

(Gilles) J’habitais Dijon et j’étais ami avec François des Snipers, d’ailleurs je m’occupais de leur son sur scène. On se croisait tous dans les bars de la ville. J’étais très attaché à cette scène rock. Quand les Calamités ont commencé à tourner, j’ai aussi fait leur son sur pas mal de dates. Elles ont fait de beaux concerts, au Printemps de Bourges, à Rennes… On jouait aussi parfois dans des endroits improbables, comme à la piscine de Besançon en plein été ! Elles sont devenues très vite un petit phénomène alors qu’elles n’avaient pas fait beaucoup de scènes. Il y avait un peu de stress et d’angoisse avant les concerts ! Le mix nécessitait d’arriver à un bon équilibrage des trois voix qui se complétaient, du côté des instruments, les guitares et la basse sonnaient très bien. Leur force, c’était leur fraîcheur : sur scène, c’était brut, et en même temps très fin. Elles s’attaquaient à des reprises pas faciles. Elles n’étaient pas de grandes techniciennes, par manque d’expérience, mais le résultat était homogène et elles s’en sortaient à chaque fois. C’est un très bon souvenir, une bonne époque. J’ai toujours les pochettes de leurs vinyles accrochées sur les murs de mon bureau.

(Marcelle) Quand Gilles n’était pas là, il fallait se débrouiller autrement. Régler les voix des filles correctement pour chaque chanson n’était pas simple. Moi, je connaissais bien le répertoire, mais il fallait ruser pour convaincre les techniciens de me faire de la place et de m’écouter. Je leur disais par exemple : « Attention ! Là, c’est le solo, voix principale pour la Gibson, chœurs pour la Fender et la basse, et donnez-leur un max de retour ! »

(Mike) Sur scène, les filles portaient de jolies robes sixties, alors moi, il n’y avait pas de raison, j’ai décidé de jouer en kilt… Vous allez me dire je ne suis pas écossais, mais un truc que les Français ne savent pas : le Roi James Stuart, qui régnait sur l’Angleterre et l’Écosse, avait autorisé tous ses sujets à porter le kilt, le Royal Stuart tartan… Pas mal, hein ? Le 30 avril 1985, dans un concert organisé par Enzo Pélissolo à l’École Centrale en région parisienne, il devait y avoir 2 000 garçons de 18 ans, les filles pouvaient leur faire faire ce qu’elles voulaient, c’était dingue. Elles claquaient des doigts, ils se couchaient par terre, elles reclaquaient des doigts, ils se mettaient debout.

(Lionel) Sur scène, elles jouaient avec une sacrée pêche, elles étaient efficaces, naturelles, drôles. Avez-vous déjà vu un groupe se planter lourdement sur une intro de chanson, s’adresser à la salle bondée en disant, « ça marche pas, on recommence ! », le faire trois fois de suite – sans pour autant y parvenir – et dire au public à la fois médusé et amusé : « Bon tant pis, on passe à la suivante » ! Vous avez déjà vu ça, vous ?  Et donner ensuite un concert formidable… c’était ça les Calamités !

(Marcelle) Ça nous a fait vivre des choses incroyables. On a fait des rencontres : quand on a joué au Havre, devant des dockers, ça n’était pas marrant, les gars criaient « à poil », ça s’annonçait vraiment merdique. Là-dessus, Little Bob (le fameux rocker havrais) saute sur scène et commence à engueuler le public. Le concert redémarre et tout devient super, et après on se retrouve au bar avec son frère et lui. Des vrais souvenirs sympas. C’est devenu un ciment entre nous quatre aussi, ça nous a liées.

(François) Avec les Snipers, on tournait pas mal, d’abord avec les Real Kids, ensuite avec les Rythmeurs, on était vraiment bons sur scène. On tournait dans le réseau de salles moyennes de 200 places, mais on plafonnait. Quand on partageait l’affiche avec les Calamités, on terminait souvent ensemble sur les rappels avec des reprises où nous jouions et elles chantaient, c’était génial. Pour moi, nous aux instruments et elles aux voix, c’était le groupe idéal. Le jour où on a joué à Paris à l’Eldorado avec elles, on s’est rendu compte que le vent avait tourné : elles faisaient notre première partie, mais une fois leur concert terminé, une partie de la salle s’est vidée, sans même attendre de nous voir jouer. Pendant les Transmusicales à Rennes, Patrick Mathé nous a dit d’inverser les groupes, que les filles seraient tête d’affiche : ça fait mal, mais c’était évident, elles avaient des voix uniques dans le rock français, des très bonnes chansons…

 

 

 

 

NEW ROSE

TRISTE CONSTAT : DANS LE MILIEU MICROCOSMIQUE DU ROCK, NEW ROSE, LABEL FRANÇAIS DE PLUS EN PLUS IMPORTANT, NE SORT QUE DES TRUCS EN ANGLAIS. SEUL VAGUE ESPOIR D’OUVERTURE NATIONALE : LES CALAMITES, SUBLIMES ET MECONNUES, DONT LE BOY FROM NEW YORK CITY EST INCLUS ICI, EXTRAIT DE LEUR NOUVEAU MAXI, OU FIGURE EGALEMENT UNE VERSION FRANÇAISE DE CE GRAND CLASSIQUE DES AD LIBS, GROUPE VOCAL DE SOUL DES 60S.  BRUNO BLUM, BEST N°200, MARS 1985

(Odile) Pour moi, tout ce qui comptait, c’était la musique. La fac, on se débrouillait pour échanger nos cours, ça me libérait du temps et je faisais le minimum pour passer à l’année suivante. Du coup New Rose, c’était génial. Enregistrer en studio, c’étaient les plus beaux moments de ma vie, c’était ça que je voulais faire.

(Marcelle) Patrick Mathé m’envoyait des affiches, du matériel promo, mais tout ce qui était contrat était négocié en amont avec Odile, parce qu’elle habitait Paris à ce moment-là. On était super contentes de ce qui nous arrivait. Mais à dire vrai, la promo, ce n’était pas toujours très marrant. Les premières télés, les premières radios à Paris, c’était un pensum. Parfois, pour les émissions de télé, on nous préparait des tenues, alors que les nôtres étaient cent fois mieux, évidemment ! Attendre trois heures dans les loges, se faire reprendre sur la façon de tenir un micro… Ça donnait un petit coup de frein sur les rêves de gloire, s’il y en avait eu. Mais au milieu de tout ça, je me souviens qu’avec Jacky pour Platine 45, on s’est bien marrées. Ça, c’était la télé plaisir. Quand on a joué au Grand Rex, il était venu nous voir en coulisses. En mars 1985, Etienne Daho est venu en concert à Dijon. Je sais, après l’avoir rencontré sur un plateau télé, qu’il apprécie les Calamités. Ce soir-là, les filles jouent sur le campus. Je passe donc voir Etienne pour l’inviter à nous retrouver après son concert. Il accepte et c’est comme ça qu’il a débarqué sur scène, devant des étudiants médusés, pour chanter Toutes les nuits avec les filles.

(Louis) Les Snipers nous ont présenté les Calamités, et avoir Lionel Herrmani à la production était un atout. Les filles avaient de nombreux fans (comme Etienne Daho) et leurs morceaux un réel potentiel commercial. J’ai rencontré le PDG d’Europe 1 pour une éventuelle coédition (garantissant la programmation du 45 tours), l’accord ne s’est pas fait. Notre budget promotionnel était limité et les filles, encore étudiantes, n’étaient pas toujours disponibles. Le succès de Vélomoteur (chez Polydor), quelques années plus tard, a confirmé la qualité de leurs compositions. Les Calamités reste un des seuls groupes hexagonaux, chantant en français, à voir leur disque édité par un label américain, Posh Boy. Un très bon souvenir.

(Daniel) Les Calamités avaient une place à part dans ce que sortait New Rose. Leurs harmonies, leurs mélodies, leur image, les textes en français dans lesquels il y avait une dimension féministe. Il y avait de l’humour mais il y avait un point de vue. Ce mélange n’appartenait qu’à elles. Un des défis artistiques du français, c’est de le faire sonner. C’est beaucoup moins évident qu’avec l’anglais. Ce qu’elles arrivaient à faire avec leurs harmonies, c’était une nouvelle façon de faire sonner le français. La forme rock avec des harmonies qui pouvaient évoquer Phil Spector était croisée avec une tradition française de groupes vocaux comme Les Sœurs Etienne ou les Double Six par exemple.

THE CALAMITIES

(Robbie Fields) J’ai découvert le groupe à Los Angeles, où je suis revenu m’installer après avoir déménagé de Londres en 1983. Le légendaire DJ Rodney Bingenheimer jouait, sur sa fameuse station de radio, une copie importée de leur album, À bride abattue. Les Calamités, c’était tout à fait charmant. Le punk m’ennuyait dans l’ensemble et j’avais besoin de nouveauté. Elles ressemblaient aux Shangri-Las, mais sans les fioritures. Avec le recul, j’aurais dû leur dire d’enregistrer un album hardcore, elles auraient coiffé L7 (groupe de filles de Los Angeles, des dures à cuire) au poteau ! Je les ai sorties sur mon label, Posh Boy, parce que j’aimais prendre des risques, et le français m’était familier, j’ai passé mon bac dans cette langue, et je visitais la France régulièrement depuis 1966. Le facteur décisif, c’était que Rodney passait le disque à la radio, c’était un atout, même si cela ne suffisait pas pour faire vendre des disques. Je connaissais bien Patrick Mathé de New Rose, aussi. Et lui connaissait déjà mon label. Je ne sais plus vraiment comment À bride abattue a été reçu aux Etats-Unis, il y a sûrement eu de bonnes critiques, parce que c’était un beau disque. Bon à cette époque, en Californie, c’est la presse britannique qui déterminait en grande partie ce qui était cool et ce qui ne l’était pas. J’ajouterais que, ça peut paraître incroyable, mais je n’ai jamais rencontré le groupe, et pourtant, bien avant que le TGV n’existe, je voyageais déjà dans leur région.

PAS LA PEINE

 « ON A DE LA CHANCE, ON NE FAIT RIEN ET TOUT NOUS ARRIVE. » NINETEEN, MAI 1985

EN CHŒUR ! UNE A LA FONDAMENTALE, UNE A LA TIERCE ET LA TROISIEME AU CONTRECHANT, C’EST LEUR SPECIALITE. MONIQUE SABATIER, NINETEEN, MAI 1985

(Odile) À bride abattue est enregistré en novembre 83 et Pas la peine en octobre 84. On n’était pas très prolifiques, New Rose nous a sans doute demandé d’enchaîner avec un EP, on a dit OK. Pour un second LP, c’était trop court, le temps libre, c’était pour les concerts. Et les études commençaient à être prenantes.

(Isabelle) On enchaîne, avec le maxi Pas la peine, toujours avec Lionel. C’était dans le studio Oncle Sam à Paris. Dominique (guitares) et Hugues (basse) des Dogs sont venus jouer quelques parties sur nos morceaux, c’était super ! Je crois que c’est à la même époque aussi qu’on a fait les chœurs sur la face B de leur 45t (sorti chez Epic en 1984), un morceau qui s’appelle Down at Lulu’s qui était vraiment génial ! Et nos chœurs étaient au top ! Après, pour la pochette du maxi, ça a été une autre histoire : on nous a maquillées et coiffées comme des hard rockeuses, ça a vite tourné vinaigre avec le photographe qui nous prenait de haut, alors on a tout viré, maquillage, coiffure, on était vraiment furax et ça lui a pris un temps fou pour arriver à faire quelques clichés, on tirait des têtes de cent pieds de long… Vraiment éprouvant ! Après ça, on a continué à faire des télés et des concerts jusqu’en 1986, en alternance avec la fac !

(Marcelle) Pour le second album, il n’y a plus assez de morceaux. La plupart des chansons ont été composées dans les années 83-84 quand on répétait beaucoup. Quand les concerts se sont enchaînés, avec la fac, c’est devenu plus difficile de trouver le temps de composer, d’écrire. Le temps d’écriture a toujours été très long. On en rigolait, on disait qu’il fallait neuf mois pour faire un morceau… On a composé nos dernières chansons, C’est embêtant / Pas la peine, un peu sous pression. En revanche, je me disais que des chansons du premier album auraient pu être réenregistrées, Toutes les nuits… C’est un morceau génial qui aurait gagné à être enregistré et réorchestré avec plus de temps et de moyens. À ce moment-là, on était tiraillées parce que les études des filles commençaient à être sérieuses. On savait que Les Calamités, ça ne serait pas toute notre vie.

(Lionel) À bride abattue, c’était vraiment fauché, tout petit, mais travailler dans ces conditions-là n’a jamais empêcher de faire de bons disques. Après, les vendre, c’est autre chose… New Rose, qui nous a toujours soutenus, n’avait ni les moyens ni la structure pour assurer une promotion ad hoc. Vendre des disques est un business dont nous étions loin… De toutes façons avec ce sacré Patrick on ne savait jamais vraiment ce qu’on avait vendu…. Pour Pas la peine, on est dans un meilleur studio. Dominique et Hugues des Dogs nous donnent un coup de main. Pendant qu’on enregistrait, nous avons eu la visite d’Étienne Daho qui était fan des Calamités. Il venait me demander si elles accepteraient de faire des chœurs sur l’album qu’il préparait. J’ai trouvé ça très flatteur, d’autant qu’Étienne était une personnalité à part dans le milieu musical. Rien n’a pu sortir de cette rencontre, ce que je regrette aujourd’hui. Cela aurait pu donner quelque chose, comme ce qu’elles ont enregistré avec les Dogs et les Barracudas.

(Daniel) À la sortie du maxi Pas la peine, j’ai trouvé que la qualité de production avait monté d’un cran, que ça allait les aider à toucher un public plus large et que tout le monde allait s’apercevoir qu’elles étaient sans équivalent dans le paysage musical français. J’étais persuadé que c’était un groupe qui allait marquer et ça a été une frustration qu’elles n’aient pas rencontré le succès qu’elles méritaient.

(Robin) Il y a un truc pas trop connu, elles ont joué sur un titre des Barracudas, une reprise, Down In The Boondocks de Joe South. Sans doute, leur dernier truc enregistré à trois. Leurs chœurs sont géniaux. Les Calamités, c’était s’amuser, répéter, et faire des concerts pour le plaisir, il n’y avait aucune idée de carrière derrière. Caroline a quitté le groupe en premier, Odile et Isabelle ont continué avec Vélomoteur.

(Mike) Pour moi, l’aventure a duré de 1982 à 1988. Caroline part à Londres, Odile en Belgique. Moi, je reste à Beaune. Un des derniers trucs que j’ai faits, c’est un play-back de Vélomoteur à Champs-Elysées chez Michel Drucker. J’ai eu une bonne expérience de ce qu’était l’industrie de la musique, pas sûr du coup d’avoir eu cette envie de devenir un professionnel ! Mais j’ai beaucoup appris. C’était un très bon moment.

(Robin) À leur époque, il y avait les Slits en Angleterre, les Kleenex en Suisse… Mais elles étaient un peu à part, il n’y avait pas d’autre intention que de refaire à leur manière les disques sur lesquels elles aimaient danser : Motown, les Dogs, les Ramones… Behind The Sunglasses, que Caroline chante, est très spectorien. Bon, New Rose n’avait pas non plus les moyens de faire une grosse production. Est-ce que finalement elles étaient en avance sur ce qui fera le succès d’un label comme Creation ? Oui et non. C’est vrai qu’il y avait une sorte de fascination pour les années 60, des guitares, un sens de la mélodie, des harmonies. Mais les Calamités se situaient plus dans une tradition du rock’n’roll, plus nostalgique, un peu puriste.

OUTRE-MANCHE

JE TIENS À CLAMER SUR TOUS LES TOITS QUE L’ALBUM A BRIDE ABATTUE DES CALAMITES EST UNE MERVEILLEUSE ROMANCE FRANÇAISE QUI ME REND SI HEUREUX A CHAQUE ECOUTE ! JE TIENS À HURLER LA GLOIRE DE GROUPES POP INSTINCTIFS COMME TALULAH GOSH ET LES SOUPIES (SOUP DRAGONS, NDT) DU HAUT DE LA CIME DES ARBRES ! J’AI ENVIE DE DANSER FOLLEMENT, JE VEUX DES TRUCS SIMPLES, JE VEUX DE L’HUMOUR, DE

L’INTELLIGENCE, ET TOUT LE RESTE, POUR REVENIR À LA MUSIQUE POPULAIRE… ÉH ! LAISSEZ-MOI VOUS RACONTER UNE HISTOIRE. TOUT A COMMENCE UN JOUR D’HIVER PLUVIEUX A BELLSHILL (GLASGOW) OU SEAN (BENI SOIT-IL) M’A MONTRE COMMENT RESTER EN VIE : LA PLUS BELLE POCHETTE DE L’HISTOIRE DU ROCK FRANÇAIS, TROIS FILLES, UN BATTEUR – « MIGNONNES »? COMMENT ÇA « MIGNONNES » ? ALLEZ VOUS FAIRE VOIR, CE N’EST PAS PARCE QU’ELLES SONT FEMININES, DELICIEUSES, AMUSANTES ET JOYEUSES QU’ELLES SERAIENT DES PETITES CHOSES FRAGILES ET MIGNONNES ! QUELQUES REPRISES DE CHANSONS FOLDINGUES (TROGGS/PETE TOWNSHEND/STOLLER) ET UNE SERIE DE CHANSONS ORIGINALES QUI DEPASSENT DE LOIN LES REPRISES, DES LIGNES DE CHANT FABULEUSES, ET TOUT ÇA QUELQUES ANNEES AVANT LE SUCCES DU SON DE CREATION ! ELLES FONT PARAITRE L’ART DE RECREER LA POP CLASSIQUE SI RIDICULEMENT SIMPLE QU’IL EST EXTREMEMENT ETONNANT QUE PERSONNE N’Y SOIT JAMAIS PARVENU AUPARAVANT. EVERETT TRUE, THE LEGEND, THE WORM IN THE APPLE N°5, 1986

VELOMOTEUR

(Daniel) Le temps passe, je disais autour de moi à quel point c’était dommage qu’on n’entende pas plus parler des Calamités. En 1987, avec Muriel, on fait notre première vraie tournée. Un jour, je suis en voiture avec notre manager, Cyril Prieur, originaire de l’Est de la France et qui connaissait bien la scène rock de la région. À un moment, on passe près de Beaune. Là, je lui demande s’il connaît les Calamités et s’il sait comment les joindre. Il trouve le numéro de Marcelle que j’appelle pour lui dire que je rêverais de faire quelque chose avec les filles. Elle me dit qu’elles ont arrêté, qu’elles poursuivent leurs études. J’espère qu’elles ont peut-être encore des chansons qui n’ont pas été enregistrées et je lui demande si je peux les rencontrer. On organise un rendez-vous, je vais à Dijon, je les retrouve chez Odile et elles me confirment qu’elles ont arrêté. Mais peut-être convaincues par mon enthousiasme, elles me disent qu’il leur reste une chanson qu’elles n’ont pas enregistrée, une seule ! Pour moi, ça aurait pu être n’importe quel titre, j’aimais tout ce qu’elles faisaient. Isabelle et Odile prennent leurs guitares et me jouent Vélomoteur. J’étais très ému de les voir jouer cette chanson, là dans leur salon, c’était un grand moment. Je leur propose une manière de travailler : je peux amener des arrangements, des sons mais c’est elles qui décident ce qu’on garde ou non. Le plus important pour moi était que le résultat leur plaise. Elles sont venues plusieurs fois à Paris dans le petit appartement derrière Montmartre dans lequel on avait emménagé avec Muriel. J’avais un petit magnéto multipistes dans la chambre avec mes instruments, il n’y avait pas beaucoup de place, elles étaient assises sur le lit avec leurs guitares. Je leur ai demandé d’amener un riff de 12 cordes comme intro, j’ai fait des arrangements avec un orgue Hammond, des sons de clavecin et de violoncelle, j’ai proposé une ligne de basse, un rythme de batterie. Dans mon souvenir, il n’y a eu aucun désaccord. Je me rappelle d’un moment super impressionnant : je leur demande si c’est possible d’harmoniser un passage et en un clin d’œil, elles se calent pour répartir leurs voix et le truc est là tout de suite. Pendant l’enregistrement au studio ICP, j’étais fasciné de voir comment leurs voix s’emboîtaient l’une avec l’autre même lorsqu’elles chantaient à l’unisson. La qualité de leurs harmonies était le résultat d’une vraie harmonie entre elles. Dans un flash, c’était comme si j’avais eu les Beatles en face de moi !

(Isabelle) Vélomoteur, c’est le dernier morceau composé par nous trois. En 1987, Caroline était déjà partie en Angleterre, on était dispersées géographiquement, Londres, Paris, Lyon, Caen, Mike était resté tout seul à Beaune… Au départ, Daniel Chenevez nous appelle pour nous dire qu’il a écouté ce qu’on a enregistré chez New Rose, qu’il monte sa maison de production et qu’il est intéressé si on a quelque chose à lui proposer. On lui explique que notre bassiste est partie et qu’il ne nous reste qu’un morceau ! Il est venu à Dijon nous écouter. Odile et moi lui avons joué Vélomoteur avec nos petites guitares sèches… Il nous a rapidement donné rendez‐vous à Paris pour travailler avec lui les arrangements. Une fois la porte refermée après son départ, on a explosé de joie ! On a demandé à Caroline si elle voulait participer à l’aventure, mais pour elle, ce n’était pas le bon timing.

(Odile) C’est dans la continuité de ce qu’on faisait, dans le sens où on a composé le morceau ensemble, il date de novembre 1985. Daniel nous contacte en 1987. Ce morceau, on l’avait joué en concert. Daniel avait téléphoné chez mes parents, ça faisait quelque chose. Quand il décidait un truc, il se donnait les moyens d’aller au bout. Bon sur l’enregistrement, ça n’est pas mon solo – en concert, j’en avais un autre ‐ mais à part ça, c’est la même structure, comme on l’avait composé. Au niveau des arrangements, on savait qu’ils allaient nous faire un son “radio”, bien propre, pour que ça passe. Mais bon, on ne pouvait pas refaire comme sur À bride abattue, pour The Kids Are Alright, en une prise pour les instruments et une prise pour les voix. Hop, c’est dans la boîte, de l’énergie pure !

(Mike) A la version de Vélomoteur enregistrée par la suite, je préférais la version que nous jouions sur scène, c’était très bon sur scène, on l’a jouée à Canet-Plage (Perpignan) en mai 1986 avec un côté The Who plus poussé, notamment par la batterie !

(Odile) Un coup de fil de Daniel nous annonce au dernier moment qu’on a un gros pépin : l’adaptation d’une chanson d’Hank Williams, Why Don’t You Love Me, dont nous avions écrit une adaptation sous le titre de Je me demande pourquoi, qu’on a enregistrée pour la face B, ne peut passer pour des problèmes de droits. Il faut retourner en studio. On n’avait rien et il fallait un truc pour le lendemain. Avec Isabelle, on s’y est mis. Mais pour ce morceau, J’en ferais bien mon quatre‐heure, on n’était que toutes les deux. Pour moi, les Calamités, c’était des chansons composées ensemble. Et comme Caro n’était pas là… Il y avait quelque chose qui manquait. On l’a fait le couteau sous la gorge. Avec les Calamités au complet, on aurait fait mieux.

(Daniel) Pour la face B du single, elles avaient une adaptation d’une chanson de Hank Williams, Mais c’est devenu compliqué, j’ai appris qu’il fallait l’autorisation des ayants droit et je ne savais pas qui contacter. De plus, j’ai toujours préféré les chansons originales aux reprises. Quelques jours après, elles m’appellent un soir, elles me disent on va poser le combiné et on va jouer une nouvelle chanson. Muriel était avec moi, on met le haut-parleur et on les écoute jouer J’en ferais bien mon quatre‐heure à travers le téléphone, c’était génial.

(Isabelle) C’était une autre aventure, avec plus de moyens techniques, plus d’argent pour enregistrer, plus de temps. On a découvert un autre univers. Daniel Chenevez a écrit tous les arrangements. On a enregistré au Studio ICP à Bruxelles. C’était super aussi de faire la pochette avec Pierre et Gilles, on a été chez eux, leur appart est incroyable, ils nous ont prêté leurs fringues, ça a été un moment très agréable, bien différent de certaines séances de photo…

(Pierre) C’est Daniel Chenevez, de Niagara, comme il était producteur du disque, qui nous a contactés, Gilles et moi, pour faire la pochette. On a tout de suite aimé la chanson, et on a rencontré Odile et Isabelle. On a voulu garder leur côté nature et souriant, on a construit un décor où on pouvait imaginer qu’elles roulaient à vélomoteur sur une route de campagne. On leur a mis nos deux chemises à carreaux qu’on avait fait faire en Inde. C’était une séance aussi joyeuse que leur chanson !

(Daniel) J’aime ce que font Pierre et Gilles et je pensais que leur travail s’accorderait très bien avec l’univers des Calamités. Pour produire cet enregistrement, j’ai créé mon label avec mes propres moyens et j’ai demandé à Odile et Isabelle si elles pouvaient se rendre disponibles, au cas où, pour faire la promo, elles m’ont dit oui. J’ai proposé la chanson à Polydor qui l’a prise immédiatement. Tout s’est passé très facilement, un peu comme dans un conte de fées. Le succès, c’était un coup de bol, comme n’importe quel succès ! Mais j’ai toujours pensé que c’était un groupe qui méritait d’être très reconnu.

(Dominique) Je me souviens de cette séance de mixage avec Daniel Chenevez. Cela avait été très facile et amusant, c’était un titre frais pour l’époque, une sorte d’ovni… Daniel était très dirigiste, donc il n’y a pas eu d’autre travail que de faire en sorte que ça devienne un single radio, avec essentiellement un travail sur les voix. Bon souvenir et bon titre ! Nous sommes en plein Top 50, au début de la radio FM stéréo, ce qui fut une révolution en France. Les studios et ingénieurs du son de l’époque n’avaient pas bien compris les contingences techniques nécessaires pour une bonne diffusion à travers ce média. Pour passer en radio il fallait compresser le son au maximum, ce que j’ai fait. Partant du principe que plus le volume du programme était fort, moins le public avait envie de changer de station. Bon, il fallait aussi que la chanson et la production soient pensées en fonction de ce satané Top 50 : durée, choix des sons, gimmick dans les refrains… Vélomoteur était un tube d’époque dans le pur style Chenevez, une sorte de pop années 80, néo-surf beach girls !

(Odile) Pour la promo, on avait une attachée de presse de chez Polydor qui gérait tout ça. Ce qui était rigolo, c’était de voir l’envers du décor. C’était fatigant parce qu’on faisait sans cesse des allers-retours entre Dijon et Paris. C’était aussi frustrant parce que c’était du play-back, de la poudre aux yeux… Il n’y a pas beaucoup d’artistes qui aiment cette partie du métier, je pense. On est loin du concert, du studio. C’est se vendre. Mais comme c’était nouveau, j’en garde un bon souvenir. Je suis contente d’avoir pu vivre ça. Si devenir un artiste, c’est faire ça toute sa vie, c’est lourd, ça prend énormément de temps sur les moments de composition, d’enregistrement, de concerts. Ce qui ne nous plaisait pas, c’est qu’on maîtrisait moins notre image, même si on s’habillait à peu près comme on voulait et qu’on répondait ce qu’on voulait aux interviews… C’est aussi parce qu’on n’investissait pas dans notre avenir qu’on pouvait se permettre de répondre n’importe quoi !

(Isabelle) Après, pour la promo de Vélomoteur, on avait déjà l’expérience passée et c’est devenu amusant, d’un point de vue ethnologique… Tu découvres comment les choses fonctionnent dans le monde du show-biz, l’envers du décor. Il n’y avait pas d’enjeu pour nous. On se sentait détachées : à Paris le week-end, en fac le reste de la semaine. Et puis on était deux, on pouvait avoir ce regard différent. Ça a bien confirmé qu’on ne vivrait pas toute notre vie comme ça ! Faire le pingouin, essayer de vendre notre truc, ça ne nous ressemblait pas : un gala en play-back devant 3 000 personnes, c’est une expérience… On l’a fait sans être toujours à l’aise avec ça. On détestait que l’attachée de presse nous donne des conseils vestimentaires… Ce qui nous plaisait, c’était écrire des morceaux et les jouer. Bon, on a vendu quand même 250 000 disques, et personne n’a compris quand on a arrêté. Daniel voulait qu’on continue ! Il disait qu’on tenait quelque chose d’original, il a été super déçu. Mais Odile était à la fin de ses études de médecine, elle ne pouvait pas tout balancer. Moi, j’aurais pu encore repousser d’un ou deux ans la fin de mes études. Mais ça n’était plus pareil, Caroline n’était plus là, ça n’était plus vraiment les Calamités.

(François) Elles ont fait Jacques Martin, Drucker, à ce moment, ce n’était plus un groupe de rock’n’roll. C’était un groupe pop, qui a fait une super chanson. D’ailleurs, j’ai eu la chance de l’entendre sur scène, étant un de ceux qui les ai le plus souvent vues en concert. C’était génial et le single est génial même si la production ne me plaît pas, avec cette caisse claire hyper compressée, mais c’était la mode à l’époque. Quand elles ont fait Vélomoteur, j’habitais à Paris, j’y travaillais et quand elles montaient à Paris, elles dormaient chez moi : elles faisaient leur télé, et revenaient à minuit, maquillées comme des voitures volées, avec des bouquets de fleurs énormes. Elles me les laissaient le lendemain dans mon minuscule 25 m², avant de reprendre leur train pour la Bourgogne ! J’ajoute que la « voiture rouge » dont il est question dans les paroles, c’est la mienne : un cabriolet MG vintage rouge, j’ai les photos !

(Daniel) C’était impressionnant, quand le disque a eu du succès, elles n’ont pas changé de vie, elles ont continué leurs études. “C’est super, ça a marché, on est contentes, mais ça n’est pas notre vie“, ça démontrait bien leur force de caractère. Dès le début, j’avais prévenu que je n’aurai pas le temps d’aller plus loin que le single mais en tant que fan, je regrettais qu’elles ne continuent pas leur chemin, elles avaient une place particulière qui est restée sans équivalent. On s’est très bien entendus et on est toujours amis. Deux ans après le single, elles sont venues participer à un de nos concerts au Zénith de Paris, c’était peut-être leur dernière apparition sur scène.

L’APRES

 LE MILIEU DES ANNÉES 80 VOUS DONNAIT LE GOÛT DES JEUNES FILLES DÉMODÉES. PROVINCIALES. POUR LES PARISIENNES BRANCHÉES, ON N’AVAIT QUE L’EMBARRAS DU CHOIX. CES TROIS-LÀ VENAIENT DE BEAUNE (CÔTE D’OR). LÀ-BAS, POUR BRASSER LES MAUVAIS CLICHÉS, C’ÉTAIT PINARD OU ROCK’N’ROLL. ODILE REPOLT, ISABELLE PETIT ET CAROLINE AUGIER ONT CHOISI LA VOIE ÉTROITE, EN VIRANT POP JUSTE À LA SORTIE DU GARAGE. PAS PAR CALCUL, ELLES AIMAIENT ÇA : LES SHANGRI-LAS, LE SHIMMY, TOUT LE TRALALA. LES WHO ET LES TROGGS REVUS PAR MARIE-JOSÉ NEUVILLE, LA COLLÉGIENNE DE LA CHANSON. J’EXAGÈRE UN PEU ? OUI. LES FILLES ÉTAIENT ÉTUDIANTES. PÉTILLANTES. CHARMANTES (…) AVEC TOUTES LES NUITS, ELLES TENAIENT UN TRUC EN ACIER INOXYDABLE. (…) ET PUIS POUF-POUF, DANS LA FUMÉE DES SOUVENIRS. FRANÇOIS GORIN, TÉLÉRAMA, 3 OCTOBRE 2014

(Odile) Dans ma tête, le groupe ne s’est jamais arrêté. Au départ, on est un groupe de copines, on fait de la musique et quand la musique s’arrête, on est toujours un groupe de copines, on a toujours continué à se voir, à faire des fêtes, à aller à des concerts. On a arrêté de faire de la musique, mais le groupe est toujours présent. Bon, on ne pourrait pas réécrire des paroles comme ça, c’était des paroles d’ado ! Ça serait ridicule à notre âge. Mais comme il n’y a pas eu de séparation, ça n’est pas douloureux en fait.

(Isabelle) Après, chacune a tracé sa route, mais on est toujours restées très proches, très unies, il y avait autre chose que la musique entre nous… Il n’y a jamais eu de regrets, de remords, c’était entendu, on l’avait toujours dit, en tous cas on le savait nous, depuis le départ ! Beaucoup de personnes ont été surprises de découvrir notre parcours et n’ont pas compris pourquoi on s’arrêtait en plein succès… Mais justement c’est ça qui était génial ! On a vécu des moments incroyables et on a réalisé nos rêves d’adolescentes, que demander d’autre ? J’ai continué à faire un peu de musique dans mon coin. J’ai enregistré, en 1995, un morceau pour un 45t du label Ad Libitum Pop, (avec Jacques Daumail – le père de Marc, de Cocoon – qui a fait les guitares). Il y avait aussi un morceau de Dominique A sur cette compilation. De leur côté, Odile et François ont enregistré des morceaux avec Jean-Luc Taccard dit Le Kaiser (Tango Lüger, Vietnam Veterans… ) sous le nom des Mysterious Speculoos entre 2010 et 2015. On est toutes allées plusieurs fois dans son studio d’enregistrement à Chagny, j’ai également enregistré trois titres chez lui en 2015 avec Antoine, le fils d’Odile, à la batterie et Antoine (Tony Truant) à la guitare. Jean-Luc est malheureusement décédé en 2016.

(Odile) Ça me fait plaisir qu’on ne tombe pas dans l’oubli, que des personnes puissent nous découvrir. Après, nos chansons sont sur l’internet, on n’attend plus une réédition pour pouvoir réécouter des choses introuvables. Il n’y a plus de disparition complète, comme à une époque. C’est chouette aussi pour mes gamins, ça leur montre que ça vaut le coup de s’investir dans quelque chose, que ça dure dans le temps. Laisser quelque chose derrière soi.  Ce qui m’a bien fait plaisir, c’est que dans la Star Academy (Belgique), deux candidates (Roxane et Mélanie, en 2002) ont repris Vélomoteur. Mais on voit bien que tout a été décortiqué, les harmonies, les sons, ils ont épluché les partitions. Leur interprétation est très appliquée, bien loin de notre façon très intuitive et spontanée de faire de la musique. Ma grande fierté, c’est quand un de nos morceaux est repris par un autre groupe : ma reprise préférée, c’est celle des Nuls, Vibromasseur, c’est la meilleure reprise des Calamités.

(Antoine) Sur leur carrière, elles ont été intelligentes, par rapport à plein d’autres… Je me mets dedans, hein. Elles étaient brillantes, elles ont continué leurs études, elles ne se sont pas laissé piéger, pour se retrouver avec rien à la fin, complètement oubliées, à faire les tournées souvenirs années 80, les conneries comme ça. Elles bossaient à côté, pas comme certains…

(Lionel) Il n’y avait pas vraiment de plan, avec les Calamités. Une chose était sûre : « Quand on aura passé nos examens, on arrête ! » Ça changeait tout par rapport aux autres ! Les maisons de disques, le show-biz, elles n’en avaient rien à faire.

(Marcelle) On a fait une grande fête pour nos cinquante ans et elles ont rejoué. Une fois les guitares accordées, quand elles ont commencé à chanter, c’était magique. Les harmonies étaient là, j’étais scotchée. Je dis que je suis leur première fan… Et je ne suis sûrement pas la dernière ! Je suis toujours surprise devant tout ce qu’on trouve sur le net, des choses qu’on avait complètement oubliées ! On a découvert par exemple, grâce à Enzo Pélissolo et Jean Claude Savy, des enregistrements en public de très bonne qualité que je ne me lasse pas de réécouter. Isabelle joue encore, elle me demande de lui écrire des paroles, il faut que je m’y mette sérieusement ! On se voit régulièrement, on part en vacances toutes les quatre, on est restées très proches. Les Calamités, c’est un lien indissoluble, même dans le Bourgogne.

(Lionel) Elles ont toujours ce truc avec le chant : il n’y a pas si longtemps, Isabelle et Odile ont chanté, comme ça, à l’improviste, une reprise des Everly Brothers (All I Have To Do Is Dream), avec François à la guitare, c’était impressionnant. Malheureusement, il manquait Caroline… Dans les Calamités, il n’y avait pas une soliste et des choristes, elles chantaient toutes les trois indifféremment la voix principale, avec un timbre reconnaissable entre mille, sans équivalent. Je suis élogieux, plus encore, je pense toujours que c’était un groupe étonnant, à mille lieux d’un produit préfabriqué show-biz, loin de l’argent des grands studios, de la publicité, des produits marketing, de la promo massive… Cette modestie des moyens a sans doute contribué à donner aux enregistrements une formidable fraîcheur. Tout le monde sait qu’elles auraient pu continuer, qu’elles avaient du talent, qu’elles auraient pu écrire d’autres morceaux… Je reste persuadé, et je ne suis pas le seul, que si on les enfermait aujourd’hui dans un studio elles pourraient à nouveau écrire de bonnes chansons.

(François) On est restés amis, je les vois tous et toutes encore, Marcelle, Isabelle, Odile, Lionel, Caro, Mike… Il n’y a jamais eu de tensions, elles sont ensemble depuis si longtemps et leur amitié, qui est vraiment profonde, est une des raisons de leur succès. C’est magnifique, faire partie de ce petit monde, qui est comme une famille élargie.

(Lionel) Il y a une magie dans le rock, Dominique Laboubée disait ça… Une étincelle (il claque des doigts), les Calamités l’avaient !

 

Renaud Sachet

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“I perfectly remember the day I first heard the catchy single Toutes les nuits on Europe 1, in Maneval’s show. I rushed to my tape deck to record an excerpt, which I listened to over and over again, until I finally got the album À bride abattue, released on New Rose. That album was everything I liked: brilliant compositions, pushy and skilfully arranged; refined, mischievous lyrics, a lo-fi spectorian sound like in the sixties, with heavenly voices and lots of harmonies. The cover depicts a girl band of students sporting pencil skirts, ponytails and pumps, dropping their tracks like they don’t care. There’s Odile and Isabelle on the guitar, Caroline on the bass and Mike on the drums. The result is a series of unstoppable hits: Toutes les nuits, Malhabile, Le supermarché, Nicolas, the moving Behind Your Sunglasses, but also some perfect covers: Teach Me How To Shimmy, With A Boy Like You, The Kids Are Alright, You Can’t Sit Down. All gems. This carefree, charming, innocent album lightened up my early eighties. And I still listen to it.”  Étienne Daho

A HISTORY OF THE CALAMITÉS

Wouldn’t it do them justice to rid Les Calamités (literally “the calamities”) of the embarrassing phrase “girl band”, durably stuck to their skins and plaited skirts? It’s nothing but a pink puffy cloud obscuring their true importance as a “band” full stop, as well as their fleeting though mind-bending trajectory. In just a few months going on stage with a handful of original songs recorded here and there, they became, from Dijon to Rouen, Paris to Toulouse, Bordeaux to Strasbourg, the darlings of an uncompromising rockers’ demanding scene. Tolerated by some, maybe, they were also consecrated, certainly (should they have needed the accolade). The trade-off was a succession of quick and distinctive verse-choruses for which the adjectives “fresh” and “light” seemed to have been invented again. They delivered just as many covers, which gave an idea of the origins of their songwriting: one foot in the fifties (on the dancefloor), the other in the sixties (in the garage). All of this leading to their final hit, a successful incursion in the top sales with a popular song for everyone to hum at ease, from seaside campsites to the cool kids of the capital. Everything the Calamités touched, with their classy, rigorous, casual ways – plus just enough amused detachment – turned into gold. No mysteries, so little drama… and just like that the meteor flew by, giving its public little time to realise the full importance of these small-scale, three-voice anthems sung with a style given both by arrogant innocence and cheeky ease. Without playing the cards naturally assigned to girls (sexy attitude, feminist clichés, dilettante groupism) they managed to combine a pop teen spirit with a shameless rock’n’roll energy. Too short-sighted to face it, too jealous to admit it, and a bit too misogynist to write it on the front page of magazines, the local musical press preferred keeping its little secret warm. Today still, the same images emerge: the good girlfriends, the big sisters, the cousins and blah-blah-blah. The Calamités were however and at once, one step behind – some kind of 50s-60s classicism – and one ahead thanks to their writing talent and French lyrics. That wasn’t too hard to get. But when it finally became commonplace knowledge… well it was too late. They were gone already. They were someplace else.

We know the story; it’s nested in the memory of every French rock encyclopaedist. Three childhood friends in their teens, Caroline, Isabelle and Odile form a band. They live in Beaune, Burgundy, and do so mostly uneventfully. It’s the early 80s. One thing leading to another, with a repertoire made up of just as many covers as personal compositions, they find a drummer after trying many, fire up local, then national venues, befriend the Dogs and other rock’n’roll bands (or call it garage, whatever you will) and record an album, À bride abattue, for the label New Rose. Coveted by fanzines mostly, then approached by the magazines Best and Rock & Folk, they also appear on regional then national television, from Les Enfants du Rock all the way to Platine 45 with Jacky. When all the doors seem wide open, they choose to focus on the end of their studies instead. Caroline definitely moves on, while Odile and Isabelle push things just a bit further and treat themselves to a hit that easily makes its way into the Top 50: the famous Vélomoteur, fan-produced by Daniel Chenevez – one-half of the successful duo Niagara and a savvy producer. TV appearances, success, and that’s that. The story ends there, with little or no tears or pain.

What remains of the Calamités in 2021? A dozen recordings, already reissued twenty years ago (on the label Last Call, affiliated to its parent label New Rose), ten or so TV appearances floating around on video hubs, a thorough fansite (Calamiteux, or “calamitous”, disconnected since) as well as a bunch of pieces written by amateur historians and critics, all desperately retelling the same biography over and over, like one would a good old story: that of the sweetest of girl-bands, heralding… What exactly? Who knows, in the end? Les Calamités remain a geographic, temporal and mental oddball: they didn’t claim or expect anything from anyone, and, above all, they were having fun, shattering the glass-ceilings that could have stopped them with their clairvoyant and totally assumed amateurism. The Calamités profoundly touched the ones with whom they would cross paths and apparently effortlessly so, thanks to their natural talent for writing a handful of good songs turned classics. And that is a rare gift.  

Renaud Sachet