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artist : Various

Release date : June 23, 2023
genres : experimental / Kids music
format : CD/LP/DIGITAL
reference : BB161

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PRENDS LE TEMPS D’ECOUTER – Musiques d’expression libre dans les classes Freinet / Tape Music, Sound Experiments and free folk songs from Freinet Classes – 1962-1982

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France, début des années 1960 : le Mouvement de l’École moderne est en pleine effervescence. Tirant parti de l’expérience et des écrits de son fondateur le pédagogue Célestin Freinet, ce consortium d’enseignants est en passe de prouver par l’exemple qu’une autre approche de la musique en classe peut porter ses fruits, en marge des directives officielles de l’Éducation nationale.

Pragmatique et anti-autoritariste, la démarche initiée par Freinet dès les années 1920 accorde aux enfants respect, confiance et autonomie. Dans une Europe qui se remet à peine du traumatisme de la Première Guerre mondiale, son action est concomitante à l’essor historique des méthodes actives promues par d’autres grandes figures de la pédagogie comme l’italienne Montessori, le belge Decroly ou le suisse Ferrière, au sein notamment de la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle. Très tôt, Freinet met en application ses principes en expérimentant lui-même un ensemble de techniques innovantes : abandon symbolique de l’estrade et réorganisation de la classe, apprentissage du fonctionnement coopératif, pratique de l’imprimerie à l’école ou de la correspondance inter-établissements… Le tout allant de pair avec l’édition, par la Coopérative de l’Enseignement Laïc (CEL) de documentation, de fichiers et de matériel pédagogique spécifiques.

Autour de Célestin et de son épouse Élise se fédère rapidement un groupe de compagnons inspirés. Œuvrant à la diffusion des idées et au perfectionnement des techniques, ceux-ci contribuent aussi à structurer un Mouvement dont l’audience s’accroît progressivement. Lorsque le couple fonde en 1934 son école alternative emblématique dans la petite commune de Vence, la CEL compte déjà plus de trois-cent membres présents dans soixante départements. A l’orée des années 1960, le Mouvement regroupe un nombre conséquent d’enseignants du secteur public qui, bien qu’encore très minoritaires, sont répartis sur l’ensemble du territoire national.

Au cœur de la philosophie du couple Freinet, la volonté de favoriser la libre expression de l’élève accroît l’importance de la pratique artistique en classe : projet au sein duquel le chant et la musique ont leur rôle à jouer, au même titre que le texte et le dessin d’enfant. Tandis que les salles se remplissent d’un joyeux fatras de corps sonores (ressorts, bouteilles et bassines, cadres de pianos démontés, tambours, bambous et bricolages électroniques émergeant), des musiques singulières se mettent à retentir dans les établissements : improvisations sauvages, a-cappella diaphanes, chocs de ferrailles et martèlements de cordes dissonantes, manipulations primitives de bandes magnétiques ou folk-songs évanescentes.

La précocité de la démarche peut surprendre. Plus étonnant encore est qu’il nous en reste aujourd’hui des traces tangibles. Entre 1962 et 1982, plusieurs dizaines de disques vinyles sont en-effet compilés à partir d’enregistrements réalisés dans des classes à travers tout le pays. Diffusés principalement auprès des enseignants, des proches et des soutiens du Mouvement, ces disques de format court nous renseignent sur l’évolution des pratiques et des approches: « Musique libre », « Recherches sur la voix », « Musiques concrètes »,

« électroniques » ou « Musiques d’ailleurs » dont les intitulées accrocheurs parlent d’eux- mêmes. Quoiqu’en avance sur leur temps, ils sont pourtant l’œuvre d’enfants de petites communes du Lot-et-Garonne, de l’Oise ou des Alpes Maritimes. Pas vraiment le profil de gamins de bonne famille, économiquement et culturellement privilégiés… Plutôt celui d’enfants d’écoles rurales, cohabitant dans des classes uniques, ainsi que d’enfants parfois hors-normes ou en difficulté, que l’on oriente alors vers des classes dites « de perfectionnement »1.

1 Crées en 1909, ces classes de perfectionnement sont destinées « à recevoir des enfants accusant un déficit intellectuel », selon les termes des instructions officielles de 1964.

Musique libre

L’importance accordée à la musique, à l’enregistrement et au disque en lui-même au sein du Mouvement de l’École moderne constituent trois sujets interdépendants, dont l’histoire s’écrit au gré d’une passionnante aventure collective.

Lorsqu’au détour d’une conférence pédagogique de 1965, Célestin Freinet juge avec sévérité que «l’enseignement traditionnel de la musique a fait faillite», c’est pour mieux souligner que les premiers jalons d’une alternative sont déjà en place. Entamée dès les années 1930, la quête au sein du Mouvement d’une « méthode naturelle d’initiation musicale » transpose dans le monde de la musique les principes de la «méthode naturelle» développée par Freinet pour l’apprentissage de la lecture. Autour d’un socle de notions-clé interdisciplinaires s’invente une pédagogie qui, comme toujours chez Freinet, préfère partir de la pratique plutôt que de la règle. Dynamique et pragmatique, elle entend valoriser l’approche empirique naturelle chez l’enfant, lui ôter l’angoisse de l’échec et stimuler son désir d’apprentissage tout en ancrant solidement les savoirs théoriques dans une expérience intime et concrète. Loin de se confondre avec un éloge béat de la spontanéité, du laisser-aller et du premier jet, la notion de « tâtonnement expérimental » affirme son respect du cheminement propre à chaque élève, et de la démarche structurée que celui-ci est jugé apte à suivre de son propre chef.

En matière d’éducation artistique, les implications sont nombreuses. La notion même de répertoire commence par s’effacer au profit d’une valorisation de l’expression libre et personnelle. Plutôt que de chercher à faire reproduire maladroitement un modèle, les enseignants favorisent une expérience intime de la production, suivant la maxime de Goethe qui postulait que l’enfant «ne sera sensible à l’œuvre des autres que s’il a lui-même créée» . Que cette création soit modeste ou grandiose, l’enfant en est dorénavant reconnu comme l’auteur, et peut en définir à la fois l’intention, la forme et les modalités.

Dans les numéros de « L’Éducateur prolétarien » édités avant-guerre, des instituteurs – dont certains proches du premier cercle de Freinet comme Roger Lallemand – font régulièrement part de leurs réflexions portant sur l’enseignement musical à l’école. Leurs articles peuvent porter tout autant sur la pratique du chant libre, le rôle du pipeau ou la place des instruments à percussion que sur la composition et le déploiement de petits orchestres enfantins. Visiblement au fait des avancées ayant cours en la matière jusque dans d’autres pays, ces contributeurs renvoient également leurs lecteurs aux ouvrages et travaux pionniers en la matière de la pédagogue américaine Satis Coleman ou de la française Lina Roth.

Lorsque l’Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM) voit le jour en 1947, d’autres enseignants et grandes figures du Mouvement prennent petit-à-petit la relève. A partir de la seconde moitié des années 1950, Maurice Beaugrand ou Paul Delbasty proposent de nouvelles pistes de travail autour de cette « musique libre », que l’on pratique alors en classe au même titre que le « texte libre » ou le « dessin libre ». Édité en 1957 sous la direction de Delbasty, un numéro spécial de la Bibliothèque de Travail2 prend le problème à la racine en abordant les questions de lutherie et d’instrumentarium, dont la nature détermine la pratique de la musique, et la forme même que celle-ci peut prendre. En réponse aux contraintes économiques qui faisaient jusqu’alors obstacle à l’équipement d’une classe entière, ce numéro détaille un ensemble de solutions pratiques facilitant la construction d’instruments à base de matériaux de récupération: couvercles de casserole, pots de peinture, xylophone à bouteilles ou mirliton rudimentaire. En plus de rendre l’instrument littéralement et symboliquement abordable, on l’adapte à la taille et aux compétences de l’enfant. Une petite cithare sur boîte de sardine et une plus grosse sur caisse en bois préfigurent également la conception de l’Ariel : cet instrument à cordes pincées et au système d’accordage intuitif, facile et peu coûteux à fabriquer, devenu emblématique de la musique produite dans les classes Freinet.

Dans un autre numéro de la BT sorti en 19593, G.Jaegly et C.Pons passent en revue une série de petites expériences en rapport avec le son : fabrication d’autres instruments rudimentaires, amplification du sillon d’un disque vinyle au moyen d’un cône de papier ou encore visualisation des figures de Chladni (série de motifs géométriques obtenus en déposant du sable fin sur une plaque en vibration). Sous un angle plus théorique, Freinet et Delbasty dressent en 1965 un premier bilan très positif de ces travaux en cours, dans le numéro 10 de « L’Éducateur ». Loin de se limiter aux publications papier, la diffusion de ces idées et de ces techniques s’accroît également au gré des stages, journées d’études et congrès dont la tenue régulière rythme la vie du Mouvement.

À partir de la fin des années 1960, les recherches ayant trait à la pratique musicale se déroulent notamment sous l’égide de la « Commission musique » qui réunit un groupe d’enseignants particulièrement concernés par ces questions. Les noms de Jean-Pierre Lignon, Paul Le Bohec ou Jean-Jacques Charbonnier reviennent régulièrement, ainsi celui de Jean-Louis Maudrin, qui en fut l’un des principaux responsables et le coordinateur jusqu’en 1978 :

JLM : « Il ne s’agissait pas de tout baser sur la musique, ce n’était pas le but de la manœuvre. Ce qui m’intéressait, c’était ce qui pouvait apporter aux élèves. L’objectif, c’était que les enfants trouvent, inventent, soient inclus dans la classe. Avec des productions qui sont les leurs, ou d’autres, peu importe. Si on veut que l’école fonctionne, il faut que les enfants s’impliquent, et que faire pour les impliquer ? De la musique, de la sculpture, de la photo… On y passait à tour de rôle, mais le but de la

2 BT 383, La Musique Naturelle, 12 novembre 1957, Institut Coopératif de l’École Moderne. 3 BT53 : Le Son, 1er novembre 1959, Institut Coopératif de l’École Moderne

manœuvre, c’est que tout le monde ait envie. Et il faut dire ce qui est : c’est loin d’être évident, car il faut se débrouiller avec le lieu qu’on a. S’il s’agit de fabriquer des instruments, est-ce qu’on a un petit coin atelier pour les construire ? C’était un problème récurrent, surtout dans les grosses écoles de ville. »

Tout en respectant l’autonomie, la créativité et le rythme propre à chaque élève, la pratique s’inscrit systématiquement dans la perspective d’une adresse à l’ensemble de la classe, ainsi qu’à des correspondants d’autres écoles plus éloignées à qui l’on envoie les enregistrements.

JLM : « À certains moments, la classe était complètement éclatée. Mais à d’autres, on se retrouvait tous ensemble. On ne va pas travailler tout seul… Si on produit un objet quelconque, on en discute tous ensemble: tu préfères ci, tu préfères ça… Et quand on faisait un conseil coopératif, et qu’on décidait quelque chose ensemble, on était évidemment tous regroupés. »

Constante chez Freinet, l’importance de cette dialectique entre la part intime de l’expression de l’élève et le cadre par nature collectif de la classe était également soulignée par Michel E.Bertrand: « Tous les problèmes de la musique sont des problèmes sociaux. La musique est une situation sociale (…) ce qui compte c’est le groupe qui fait et ce qui compte c’est la musique que chacun fait sans s’opposer intérieurement (…) Jamais le jeu musical ne peut consister pour chacun de faire ce qui lui plaît. « do your own thing ! » Jamais … ou alors allez chier ! votre merde sera à vous ! »4

En 1974, un important numéro de L’Éducateur « spécial musique » délivre un bon état des lieux. Tout en reprenant certains textes-clé de parutions antérieures, la commission y adjoint des contributions et retours d’expérience de ses membres5. Pendant textuel des disques édités par l’ICEM à cette époque, ce numéro de la revue confirme que la démarche sous-tendant ces enregistrements de « Musique libre », « Musique concrète » ou « électronique » ne vise ni à inculquer aux enfants, ni à leur faire singer les gestes et les codes d’une musique d’avant- garde, mais au contraire de valoriser la démarche exploratoire qui leur est propre, dans tout ce qu’elle peut avoir d’imprévisible.

Face à l’inattendu et aux manifestations parfois déroutantes de la créativité des élèves, la curiosité et l’ouverture d’esprit des enseignants reste cependant une précieuse alliée, allant de pair avec la remise en question des limites de leur propre écoute ou de leurs critères esthétiques :

JLM : « J’écoutais d’autres musiques que celles qu’on utilisait habituellement à l’école. J’étais amateur de jazz, et quand il y a commencé à y avoir le free jazz dans les années 1960, tout ça… J’avais les oreilles dedans. Ce qui fait que quand les gamins produisaient, d’un seul coup ça pouvait faire « clic » dans la tête : « Tiens, voilà quelque chose d’intéressant ! ». Stimmung6, de Stockhausen, ce sont des choses qui me parlaient, en même temps qu’Ella Fitzgerald, que j’écoutais volontiers également (…). La tournure plus contemporaine qu’avaient pris les choses venait aussi des fréquentations de l’école Freinet de Vence. Prévert était allé y faire un tour, Michel-Edouard Bertrand était copain

4 Michel E. Bertrand, « Music », in L’éducateur n°14, CEL, avril 1974 – p.46
5 Jean-Pierre Lignon, Paul Delbasty, Jean-Louis Maudrin, Aniouta Pitoeff, Michel Barre, Paul Le Bohec ou Michel Edouard

Bertrand. Mention y est également faite du rôle de Bernard Gosselin, qui en matière de lutherie participera à la création d’un important fichier ayant trait à la construction d’instruments « sauvages ».

6 Pièce vocale de Karlheinz Stockhausen pour six chanteurs et six microphones, crée le 9 janvier 1968 à la Maison de la Radio.

du gendre de Freinet, qui était proche de l’OuLiPo… Autour de l’école, un certain nombre de gens participaient, éprouvaient du plaisir à chanter avec et faire chanter les mômes, inventer des histoires… »

Le magnétophone à l’école

Sur un plan plus technique, l’augmentation progressive du taux d’équipement des classes en magnétophones à bande portatifs constitue très tôt – dès les années 1960 – un enjeu majeur au sein du Mouvement.

Cette volonté de favoriser la pratique de l’enregistrement amateur en mettant à disposition le matériel adéquat peut être comprise comme la transposition, dans le monde sonore, d’une démarche initiée dès le milieu des années 1920 avec l’imprimerie à l’école. Pour Freinet, les journaux scolaires ont en-effet toujours été un support de travail synthétique et idéal, en ce qu’ils mobilisent tout un ensemble de compétences et de corps de métier : reporter, rédacteur, illustrateur, photographe, typographe ou imprimeur. Dans le cadre de ce projet, les enfants motivés sont amenés à se lancer dans la réalisation d’articles, chroniques, reportages ou dessins, parfois agrémentés de textes de chansons ou de partitions. Au-delà du contenu, ils en assurent également la fabrication et leur distribution.

JLM : « Celui qui a introduit le magnétophone à l’école, pour moi, c’est Raymond Dufour, avec un magnétophone à fil. Il a découvert ainsi l’aspect spontané de la parole de l’enfant, alors que ce qui se faisait avant, c’était quasiment du parlé-écrit : de l’écrit diffusé, qui donne des documents sonores peu intéressants, beaucoup plus didactiques. D’une part, pour la bonne raison que dire des textes, ce n’est pas évident. Et d’autre part, car ça n’avait pas beaucoup à voir avec ce que pouvait être la vie des enfants ou de leurs familles (…). Puis il se trouve que Pierre Guérin a rencontré le fabriquant des magnétophones Gilbert Paris et là, il y a eu beaucoup de travail de fait, sous un angle plus documentaire. »

Bien décidé à favoriser et développer l’usage du magnétophone à l’école, Pierre Guérin supervise en-effet au début des années 1960 le lancement de l’impressionnante collection des « BT Sonores » : vaste ensemble de documents audio, conférences thématiques et enregistrements réalisés dans les classes impliquant des enfants de tous pays et de tous horizons sociaux, témoignant de leurs quotidien, curiosité, aspirations, conditions de vie et questionnements existentiels. La voix de grandes figures scientifiques comme Henri Laborit y côtoie les discussions de groupe entre élèves, lesquelles peuvent aborder des thèmes aussi sérieux et variés que la mort, le chômage, les angoisses adolescentes, l’exploration du système solaire ou la vie quotidienne à Bora-Bora. Quand bien même la musique n’y joue qu’un rôle accessoire, la collection témoigne de la volonté de renouer avec une pratique de l’enregistrement personnelle et documentaire en phase avec la philosophie d’un autre collaborateur de Pierre Guérin : l’homme de radio Jean Thévenot, reconnu pour son travail à la RTF avec l’émission Chasseurs de sons, elle-même consacrée à la valorisation de l’enregistrement amateur.

Dans sa conférence de 1965, Célestin Freinet relevait combien, à ses débuts, «nul ne croyait alors que des petits de la maternelle ou du C.P. puissent exprimer oralement ou par écrit une pensée significative digne d’être notée»7. De cette expression enfantine, le Mouvement de l’École moderne devient le porte-voix, l’une de ses plus remarquables intuitions les ayant peut- être résidé dans la conviction que tous ces «chants qui gagnent à être coulés dans la cire»8 méritaient diffusion.

7 C.Freinet et P.Delbasty, L’Educateur n°10, L’Education musicale, Supplément au numéro 20 du 15 septembre 1965, p.5
8 Célestin Freinet, Méthode naturelle d’expression musicale, in L’Éducateur n° ?, p.431

Pédagogie phonographique

Depuis 1928, le Mouvement dispose avec la Coopérative de l’Enseignement Laïque (CEL) d’une structure indépendante capable de concevoir, éditer, fabriquer et diffuser les nombreuses publications papier ainsi que le matériel pédagogique en rapport avec la pédagogie Freinet.

Lorsque au début des années 1930 commence à émerger en France la notion de « pédagogie phonographique » – qui vise à favoriser l’éducation musicale des élèves par le disque – Freinet évoque dans sa correspondance avec le collectionneur et amateur de musiques du monde Charles Wolff l’idée d’une discothèque itinérante qui pourrait circuler d’école en école, sur le modèle de la bibliothèque circulante du Musée de l’éducation.

En réponse aux difficultés généralement rencontrées par les enseignants pour se procurer du matériel, la CEL conçoit, fait fabriquer et propose à la vente son propre modèle de phonographe, à la fois robuste, puissant et abordable. Tandis que le mouvement de l’École moderne s’oriente vers la quête d’« une technique nouvelle d’expression musicale par le disque », la CEL étend ses activités au secteur discographique, en publiant dans les années 1940 les tout premiers 78 tours de sa « méthode naturelle d’initiation musicale » : poèmes et musiques de l’école Freinet de Vence – ponctués de quelques emprunts à Prévert – chantés « dans le registre de la voix enfantine », auxquels on ne manque pas d’adjoindre l’accompagnement au piano seul pour faciliter la pratique, ainsi qu’un ensemble de recommandations prodiguées oralement en face B sur « la part du maître ».

Il faut cependant attendre l’orée des années 1960, lorsque le Mouvement et la CEL semblent atteindre leur vitesse de croisière sur un plan éditorial, pour qu’apparaisse une nouvelle série de disques plus étonnants. Diffusés sur abonnement, ces enregistrements du «Club de la Bibliothèque sonore» sont ainsi les premiers à rendre compte d’une nette évolution dans la pratique de la « Musique libre » : premières improvisations vocales et instrumentales réellement « sans filet », premières pièces à exploiter le potentiel du magnétophone en jouant avec la vitesse ou le sens de lecture de la bande, et premières expériences autour de l’Ariel.

A l’orée des années 1970, une nouvelle étape s’enclenche dans la production de disques, tandis que la commission musique de l’ICEM intensifie ses activités. Jean-Louis Maudrin entend faire, sur le plan sonore, un équivalent de « La Gerbe » : cette « coorevue d’enfants » compilant leurs textes et dessins, « composée et travaillée par les écoles », que Freinet avait lancée dès 1927.

JLM : « Il y avait une volonté de qualité, en ceci qu’on échangeait avec les autres. Donc quand on échange, on ne peut pas échanger n’importe quoi ! Les différentes pièces étaient choisies par les classes qui avaient reçu la cassette les unes après les autres, suivant un « circuit » qu’on avait défini. Après, il s’agissait d’adapter ça au format : on devait avoir quelque chose comme huit minutes disponibles. C’est pas dix minutes, ni deux ! On devait donc retravailler la maquette pour que ça rentre avant de l’envoyer à Gilbert Paris, qui construisait les magnétophones. »

Rapidement, les nouveaux disques produits se retrouvent distribués aux abonnés en supplément d’« Art Enfantin et Créations » : revue fondée en 1959 par Élise Freinet, elle- même engagée dans une démarche globale de valorisation pratique et théorique de l’expression artistique des enfants, suivant un cheminement intellectuel qui n’est pas sans faire

écho à celui de Jean Dubuffet9 vis-à-vis de l’Art brut. Cette diffusion synchrone avec la revue permet également de détailler plus avant, au sein de ses pages, le contexte d’élaboration de chaque disque, et les étapes de la recherche menée.

JLM : « Si j’ajoutais parfois une discographie, c’était pour que le maître en fasse profiter ses élèves, mais aussi pour montrer que si les gamins bidouillent, ils ne sont pas les seuls. C’était une manière de banaliser ces bidouilles, tout en amenant les gens à éduquer un peu leurs oreilles ! Pierre Henry ou Pierre Schaeffer, c’étaient des gens qu’on entendait à la radio. »

Toujours en quête de solutions pragmatiques, la CEL expérimentera quant à elle un temps son propre modèle « d’orgue électronique », tout en proposant du matériel aux enseignants comme ces kits de lames accordées destinées à la fabrication de métallophones.

9– Dubuffet, qui s’était lui-même intéressé au dessin d’enfants avant d’œuvrer à la reconnaissance de « l’art des fous », devient à partir de 1955 le voisin de l’école historique des Freinet lorsqu’il s’installe dans la petite commune de Vence.

Prends le temps d’écouter

La présente compilation réunit donc un ensemble d’enregistrements sélectionnés parmi la trentaine de titres édités par la CEL entre 1962 et 1982, détournant en partie ces documents sonores de leur fonction première pour les faire parvenir aux oreilles d’un nouvel auditoire.

En provenance de la classe de Paul Delbasty à Buzet-sur-Baise, les plus anciens sont extraits d’un BT Sonore et des disques du « Club de la Bibliothèque Sonore », où l’on peut entendre certaines des premières expérimentations menées avec l’Ariel. Différentes versions de la mélodie intitulée Une petite fleur jalonnent notre tracklist comme autant de « variations autour d’un thème ». Le principe était d’ailleurs récurrent sur les disques de l’ICEM, qui avaient à cœur de présenter les différentes étapes d’une recherche plutôt que le résultat « fini », de même que les déclinaisons réalisées par différents élèves à partir du travail ou de l’idée amenée par l’un d’entre eux. Toujours en provenance de la classe de Buzet, Saturne constitue pour sa part l’un des exemples les plus anciens à notre connaissance, dans le contexte qui nous concerne, de pièce reposant sur le jeu avec la vitesse et le sens de lecture du magnétophone.

Les autres enregistrements retenus sont tous extraits de la série de disques publiée par l’ICEM au cours des années 1970. Sur notre morceau-titre, le petit Frédéric Chanu entonne un troublant hymne à la joie sur un ton mélancolique, presque détaché, tout en martelant lourdement ses ferrailles. Avec The Ocean, C’était l’histoire, et autres extraits de « L’Enfant de la Liberté », on passe dans le registre de la folk-song intimiste avec des chansons enregistrées dans des classes du second degré (de la sixième à la terminale), initialement écrites dans les classes de français plutôt que de musique. A leur propos, l’enseignant Michel Vibert commentait sans détours : « Quand on sait quelles agressions déversent la radio, la télévision et les disques, on ne peut pas ne pas encourager nos élèves à vivre et à chercher autre chose. Ces créations d’ailleurs agissent de façon radicale pour détruire tout le mythe de la chanson actuelle souvent de si mauvaise qualité, mélange très spécial de mauvaise « musique » et de « poésie insipide », car le goût et la recherche du vrai et du beau ne supportent pas (longtemps)labêtise.Jesaisqueparfois,dansleschansons,dansleurrythme dansleur forme transparaissent les « canons » actuels, les « recettes », mais c’est inévitable ! Cependant ces marques s’effacent pour arriver, avec le temps, l’amitié, la technique, à des créations personnelles authentiques. »10

Un autre groupe de morceaux a plus directement trait aux expériences menées en matière de « Musiques concrètes » et « Musiques électroniques » : depuis les manipulations rudimentaires des Voix, percussions ou cithare à l’envers jusqu’au fragile équilibre de Voix, larsen et percussions, si minimaliste que l’on s’étonne encore qu’il y eut des adultes assez avisés pour les considérer comme manifestations musicales dignes de publication. Ainsi que le faisait remarquer à l’époque Jean-Louis Maudrin, à travers ce procédé élémentaire «un seul bruit enregistré peut provoquer des heures de créations, toujours renouvelées. Les critères esthétiques sont bousculés, on ne peut plus dire si c’est beau ou non, si ça plaît ou non. Les enfants se trouvent devant l’inouï… devant un monde neuf dont les facteurs d’échec ont disparu.»11

Dans un esprit voisin, Hiroshima est en réalité l’œuvre d’un élève de 5ème qui, recevant un ampli en guise de cadeau de Noël, y branche sa guitare électrique et entreprend de jouer tout autre chose que des standards du rock n’roll : «J’ai commencé par des essais de sons : effet

10  Michel Vibert, C.E.G. Douvres, Art enfantin et Créations n°79 – nov-dec 1975 et jan 1976.
11  Jean-Louis Maudrin : Notre disque : Musiques concrètes, in In Art enfantin et Créations n°71 – Mars-avril 1974

Larsen, bruits avec des billes, des pinces, et j’ai eu l’idée de construire quelque chose de pas mal avec. J’ai donc enregistré toutes mes recherches que j’ai montées bout à bout. Je n’ai pas rajouté de bruits quand la bande a été finie. J’étais content. C’était une recherche sur le plan des sons. Je l’ai fait écouter à la classe et nous l’avons envoyée aux correspondants de Vizille. Ils ont répondu et comme je leur avais demandé un titre, ils m’ont proposé « Hiroshima ». Je l’ai réécoutée et j’ai trouvé que tout collait avec ce titre. Je n’ai pas fait de transformations. »12 Ce morceau sera au final l’un des plus compilés au fil des ans dans les publications de l’ICEM.

Indispensable, une petite sélection d’a-capella rappelle l’importance de la pratique du « chant libre » où la voix tient lieu de « premier instrument ». Entre un extrait des « Recherches sur la voix » et la belle démonstration de glossolalie à la sauce yaourt du proto-punk Français, tous deux issus de la classe de perfectionnement de Jean-Louis Maudrin, nous renverrons ici l’auditeur aguiché à une écoute à une écoute plus complète des disques d’époque. Non sans citer au passage quelques réactions des enfants eux-même :

« – C’est drôle, Ça nous fait rire !.:.
– On dirait que le chanteur s’énerve…
– On ne comprend pas tout ce qu’il dit. On comprend «Français » ! – On dirait un vrai chanteur: – Il chante en anglais. `
– La chanson a une belle fin, toute douce. »

Quelques plages instrumentales, percussives ou modales, dont certaines furent destinées à accompagner des dramatiques dansées (Les Monstres) complètent ce panorama dont la poésie prend aussi, parfois, un tour presque « nouvelle vague » (Se glisser dans ton ombre). Notons pour finir qu’un doublet de ces morceaux est en réalité l’œuvre d’adultes membres d’un groupe de normaliens « sans aucune formation musicale », désireux eux aussi de s’essayer à la chose.

Pris dans son ensemble, la profonde singularité de ce corpus reste frappante à plusieurs égards. D’abord, en raison du nombre d’enregistrements édités, car si d’autres écoles ont parfois ponctuellement produit des disques stylistiquement comparables, la constance de la démarche portée par l’ICEM rend le cas littéralement extraordinaire. Ensuite, au vu de la précocité de cette même démarche, dans la mesure où des pratiques comparables ne se généralisèrent dans l’Éducation nationale et le milieu de l’animation qu’à partir du milieu des années 1970. Uniques en leur genre, ces archives documentent enfin ce que peut être ou pourrait être une musique réalisée par des enfants à l’intention d’autres enfants, à travers un objet disque totalement affranchi des filtres qualitatifs inhérents à l’industrie musicale.

Décédé en 1966, Célestin Freinet n’eût malheureusement pas l’occasion d’apprécier tous les développements musicaux de ce joyeux chambardement qu’il avait initié. Revenant en détails sur les trente années d’action de la commission musique de l’ICEM, un article du « Nouvel Éducateur » récemment paru soulignait quant à lui combien «ce qu’ils ont réalisé est unique au monde : nulle part ailleurs pareille démarche n’a été menée à bien pendant trois décennies. »13 Puisse ce disque en témoigner, et contribuer à la diffusion de ces trésors auprès d’une nouvelle génération d’auditeurs.

12  Lionel Tasquier, in « Art enfantin et Créations » n°67 – Mai-Juin 1973
13  Georges Herinx, Dans les archives de la commission musique, in « Le nouvel éducateur » – n° 166, Février 2005

 

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PRENDS LE TEMPS D’ÉCOUTER
Tape music, sound experiments and free folk songs by children from Freinet classes

1962-1982

France, early sixties: the Mouvement de l’École moderne is in full bloom. Relying on the experiments and writings of its founder, the educationist Célestin Freinet, this consortium of teachers is about to give empirical evidence proving that another approach to music in school can be fruitful, distancing itself from government directives.

With its pragmatic, anti-authoritarian tack, the method that Freinet was already developing in the 1920s held children in respect, giving them confidence and autonomy. In a Europe that was just beginning to recover from WWI, Freinet was working concomitantly with the historical burgeoning of active learning promoted by other great educationists such as Montessori in Italy, Decroly in Belgium or Ferrière in Switzerland, notably within the Ligue international pour l’Éducation nouvelle. Freinet very soon started to put his principles into practice, experimenting in person a series of innovating techniques that would become emblematic: removing the rostrum, reorganizing the classroom, encouraging cooperation, developing activities such as school printing or inter-school correspondence… And all this went with the publishing of documentation, files and specific teaching material by the Coopérative de l’Enseignement Laïc (the CEL, a cooperative for secular education).

A team of inspired associates quickly formed around Célestin and his wife, Élise. Intent on circulating ideas and perfecting methods, they also contributed to structuring a Mouvement that drew increasing attention. When the couple founded its emblematic alternative school in the small town of Vence, in 1934, the CEL was already counting more than three hundred members from sixty different territorial departments. At the dawn of the sixties, the Mouvement gathered a considerable number of teachers working in state schools, and even if they were far from constituting any kind of majority, they could be found throughout the national territory.

As the wish to encourage free expression was central in the Freinet philosophy, arts and crafts were given more importance at school; in this regard, singing and music had a part to play, just as much as writing or drawing. While classrooms filled with a joyful jumble of sound-making objects (springs, bottles and basins, dismantled piano frames, drums, bamboos and the first DIY electronics), singular forms of music started ringing out: wild improvising, delicate a-cappella singing, clanks and dissonant string hammerings, basic experiments with magnetic tapes, evanescent folk songs…

This approach might seem surprisingly ahead of its time, but what is even more astonishing is that physical traces of these experiments can still be accessed today. Between 1962 and 1982, recordings collected from schools everywhere around France were compiled on dozens of vinyl records. Mostly destined to teachers and friends supporting or gravitating around the Mouvement, these short-format records documented the evolution of practices and approaches: catchy headings such as “Musique libre” (free music), “Recherches sur la voix” (vocal experiments), “Musiques concrètes” (concrete music), “Musiques électroniques” (electronic music) or “Musiques d’ailleurs” (music from elsewhere) are particularly telling. And the music that could be heard on these groundbreaking records was the work of pupils from small towns in Lot-et-Garonne, Oise and Alpes Maritime – not exactly the archetypal privileged children benefitting from an upper-class economic and cultural background… Rather, children from rural schools with a single classroom, and sometimes, atypical or struggling children oriented towards the so-called “classes de perfectionnement.”[1]

Free music

Within the Mouvement de l’École moderne, the importance attached to music, its recording and the record itself formed three interrelated topics, the history of which is that of a captivating collective adventure.

When Célestin Freinet sternly declared, during an educational lecture he was giving in 1965, that “the traditional teaching of music had gone bankrupt,” he was actually pointing out that groundwork for an alternative was already in progress. Since the 1930s, the Mouvement’s quest for a “natural method for music initiation” had been adapting the principles of Freinet’s “natural method” for reading skills acquisition. A whole pedagogy grounded in interdisciplinary key notions was imagined, and as always with Freinet, the starting point was practice rather than rule. Dynamic and pragmatic, it encouraged the child’s natural empirical approach, hoping to liberate them from the fear of failure, stimulate their desire for learning and deeply enroot theoretic knowledge in concrete intimate experience. Far from contentedly praising spontaneity, laxness and first drafts, the notion of “enquiry-based learning” claimed equal respect for the various paths that pupils took and considered them able to adopt their own structured approach.

This had many implications for the teaching of arts. The very notion of repertoire gave way to freedom of personal expression as a major value. Instead of trying to have pupils clumsily copy a model, teachers encouraged an intimate experience of production, following Goethe’s maxim according to which children cannot be sensitive to art works unless they have created something themselves. Whether modest or grandiose, the creation was attributed to the child, now considered as an author able to define the intention, the form and the modalities of their work.

In the pre-war issues of L’Éducateur prolétarien, several institutors – sometimes working in close collaboration with Freinet, as Roger Lallemand did – regularly shared their thoughts on the teaching of music at school. Their articles could equally deal with singing as a free practice, the place of pipes or percussion instruments, composition, or the formation and staging of small children orchestras. Clearly aware of the progress that was being made abroad, these contributors also referred to pioneering books and works by the American educationist Satis Coleman or the French one Lina Roth.

When the Institut Coopératif de l’École Moderne (ICEM) was founded in 1947, other teachers and key figures of the Mouvement progressively took the helm. In the second half of the 1950s, Maurice Beaugrand or Paul Delbasty suggested new directions in “free music,” which was then practiced in school as “free writing” or “free drawing” were. In 1957 a special issue of La Bibliothèque de travail[2] directed by Delbasty suggested to begin at the beginning by radically questioning lute-making and the instrumentarium as determining factors in the practice of music and the very form it can take. Taking into account a budgeting that made it difficult for an entire class to be equipped, this issue detailed a whole series of practical solutions to facilitate the building of instruments through recycling: cookware lids, tins of paint, bottles making a xylophone or anything that could be somehow used as a pipe. Cheap and demystified, the instrument was adapted to the height and skills of children: it became both affordable and accessible. A small zither made with a tin of sardines and a bigger one built with a wooden box also heralded the conception of the Ariel, a plucked string instrument that could be easily built and intuitively tuned, and which would become emblematic of the music produced in Freinet classes.

In another BT issue published in 1959,[3] G. Jaegly and C. Pons presented a series of small sound experiments: building other rudimentary instruments, amplifying a vinyl groove with a paper cone, visualising Chladni figures (geometrical patterns that can be observed on a vibrating plate covered with sand). In 1965, in a more theoretical spirit, Freinet and Delbasty drew up a very positive report surveying the work in progress and published it in L’Éducateur, n° 10. Beyond print, these ideas and techniques were promoted through training courses, symposiums and congresses regularly scheduled by the Mouvement.

At the end of the 1960s, research on musical practice began to be carried out, notably, by the “Commission musique,” a group of teachers particularly concerned with these issues. The names of Jean-Pierre Lignon, Paul Le Bohec or Jean-Jacques Charbonnier frequently appeared, along with that of Jean-Louis Maudrin, who coordinated the commission’s work and was one of its major members until 1978:

JLM: We didn’t want everything to be based on music, it was not the goal of the operation. I was interested in offering something to pupils. We wanted children to find out, invent, be included in the teaching process. With productions that were theirs, or others’, never mind. If you want schooling to work, children must be involved, and what can we do to involve them? Music, sculpture, photography… We all intervened in turns, but the goal of the operation was to generate enthusiasm in everyone. And to be honest, it is far from being a piece of cake, because you have to do with what you get. If you want to make instruments, is there enough room for construction anywhere in the class? It was a recurrent problem, especially in big city schools.

Respecting the autonomy, creativity and rhythm of each child, activities were also systematically envisaged as something to be shared with the whole class and penfriends in distant schools, to whom recordings were sent.

JLM: Sometimes the class was totally split up, sometimes we all gathered. You’re not going to work on your own… Whatever you’re building, there must be a collective discussion: you prefer this, you prefer that… And when we had a cooperative meeting to make a decision together, obviously we all assembled.

In 1974, a milestone “special music issue” of L’Éducateur provided a good overview. It compiled key papers from former publications with contributions and feedback from members of the commission.[4] As a written addendum to the records the ICEM was releasing back then, this issue confirms that the idea behind the recording of “free,” “concrete” or “electronic” music was not to make children mimic or learn by force the gestures and codes of avant-garde music, but to encourage their own personal forms of exploration and welcome the unpredictable.

As the creativity of pupils could give unexpected and sometimes puzzling results, the curiosity and open-mindedness of teachers were valuable allies, for they helped them question the limits of their own listening practices or aesthetic criteria:

JLM: I listened to music that was different from what we usually used in school. I loved jazz, and when free jazz and all that stuff came round in the sixties… I was into that. So, when the kids were making music, sometimes it just “clicked” in my head: “Hey, we’ve got something interesting here!”. Things like Stockhausen’s Stimmung,[5] that was my stuff, but I also loved listening to Ella Fitzgerald (…). And if things took a more contemporary turn down there, in Vence, it was also because of the people gravitating around the school. Prévert had visited it, Michel-Edouard Bertrand was a friend of Freinet’s son in law, Jacques Bens, a co-founder of the OuLiPo… A certain amount of people from outside school took part in activities, and they were happy to sing with the kids or make them sing, imagine stories…

The tape-recorder in school

More technically speaking, as early as the 1960s, the progressive increase in classes equipped with portative tape-recorders became essential for the Mouvement.

Their wish to encourage the practice of amateur recording by giving access to suitable equipment can be seen as the equivalent, in the field of sound, of an older process initiated in the mid-1920s to develop printing in school. Indeed, for Freinet, classroom journals had always been ideal synthetic materials, for they involved a complete set of skills and crafts: reporting, editing, illustration, photography, typography, printing. In this context, enthusiast children could have a go at writing and publishing articles, chronicles, reports and drawings, which sometimes went with lyrics or scores. Not only were they in charge of contents, but they also controlled manufacturing and distribution.

JLM: For me, it was Raymond Dufour who got tape-recorders into schools, with wire recording. This was how he discovered child speech in its spontaneous form, whereas before that, speech was nearly entirely based on writing: things were written and read out loud, and the recordings were not so interesting, they were far more didactic. Firstly, because reading aloud is not that easy. And secondly, because it didn’t have much to do with the personal or family lives these children had […]. And then, Pierre Guérin happened to meet Gilbert Paris, who manufactured recorders, and from then on, much work was done in a more documentary perspective.

Indeed, intent on promoting and developing the use of the tape-recorder in school, Pierre Guérin supervised, in the early 1960s, the launch of the massive “BT Sonores” collection, a broad selection of audio sources, thematic conferences and classroom recordings with children from all countries and all social backgrounds speaking about their everyday lives, interests, ambitions, living conditions and existential questionings. The voices of great scientists such as Henri Laborit were compiled with group discussions between pupils dealing with topics as serious and diverse as death, unemployment, teenage anxieties, solar system exploration or daily life in Bora-Bora. While the function of music remained secondary, the collection showed the wish to revive a personal practice of documentary recording in tune with the philosophy embraced by another of Pierre Guérin’s collaborators, Jean Thévenot, a broadcaster reputed for his work at the RTF, especially with Chasseurs de sons, a radio programme meant to promote amateur recording.

In his 1965 conference, Célestin Freinet remarked that when he was making his debuts as an educationist, “no one believed that a small kid in nursery or elementary school could express, in written or oral form, a meaningful thought that was worth noting.”[6] The Mouvement de l’École moderne relayed and championed the voices of childhood, and one of its most remarkable intuitions may have consisted in firmly believing that all these “songs showcased in wax”[7] deserved publicity.

Phonographic pedagogy

Since 1928, the Mouvement had in the CEL (Coopérative de l’Enseignement Laïque) an independent structure that could conceive, direct, manufacture and distribute their many printed publications and the pedagogic material destined to Freinet classrooms.

As the notion of “phonographic pedagogy” (defending the record as a tool for musical education) began to emerge in France in the early 1930s, Freinet mentioned, in his correspondence with the world music lover and collector Charles Wolff, the idea of a traveling music library that could tour around schools, as did the bookmobile funded by the Musée de l’éducation.

To succour teachers, who often had difficulty having the classroom equipped, the CEL conceived its own robust and powerful phonograph, had it manufactured and put it for sale at a reasonable price. While the Mouvement de l’École moderne was going on its quest for “a new record-based technique for musical expression,” the CEL added record publishing to its activities, and its very first 78 rpm records for a  “natural method for music initiation” appeared in the 1940s, with poetry and music by pupils from the Vence Freinet school as well as lines borrowed from Prévert and sung “in the vocal register of children,” to which were added, of course, the piano accompaniment facilitating practice, while the B side, entitled “la part du maître” (the master’s part), offered oral advice.

However, it was only in the early 1960s, when the Mouvement and the CEL apparently reached their cruising publishing speed, that a new series of more surprising records could come out. Available on subscription, recordings by the Club de la Bibliothèque sonore were the first ones to show a clear move in the practice of “Free music,” with the first truly completely improvised vocal and instrumental pieces, the first works exploiting the potential of the tape-recorder (pitch and reverse switch), and the first experiments with the Ariel.

At the start of the 1970s, a new step was taken in record publishing as the ICEM commission for music intensified its activities. Jean-Louis Maudrin wanted a sonic equivalent of La Gerbe, the “coorevue” (a neologism that could be translated as “coomag,” with coo for cooperative) which Freinet had launched in 1927, with children compiling their own texts and drawings in leaflets “composed and elaborated in school.”

JLM: We wanted quality, because there was sharing. When you share something, it cannot be anything! The various pieces were chosen by the pupils as the tape circulated from one class to another, in a predetermined “order.” Then we had to adapt the selection to the format: we had something like eight minutes. Not ten, not two! So, we had to make everything fit before sending the whole thing to Gilbert Paris, who built the recorders.

These new records were soon sent to subscribers as a supplement to Art Enfantin et Créations, a journal founded in 1959 by Élise Freinet, who globally devoted herself to promoting the artistic expression of children on both practical and theorical levels, following an intellectual path that is not unlike Jean Dubuffet’s with Art brut.[8] Joint publication made it possible to detail in print, for each record, the context of production and a step-by-step approach.

JLM: Sometimes I added a discography, not only for masters to share it with pupils, but also to show that kids were not the only tinkerers. It was a way to normalise tinkering, and to incite people to educate their ears for once! Pierre Henry or Pierre Schaeffer could be heard on the radio.

Take the time to listen

This compilation therefore presents a selection of recordings from the thirty or so records released by the CEL between 1962 and 1982, partly deviating these sound archives from their original function to offer them to a new audience.

Recorded in Paul Delbasty’s classroom in Buzet-sur-Baise, the oldest pieces have been taken from a BT Sonore and several Club de la Bibliothèque Sonore records, which feature some of the first experiments with the Ariel. Different versions of the melody entitled “Une petite fleur” punctuate our track list like so many “variations on a theme.” Actually, ICEM records often adhered to this principle, as they insisted on presenting various research steps rather than the “final” outcome, or showing the way pupils declined another pupil’s work or idea. As far as we know, “Saturne” (also recorded in Buzet) was one of the first tape-recorder pieces to be based on the use of pitch and reversed reading in an educational context.

The other tracks have all been selected from the record series that the ICEM released in the 1970s. On the title track, the young Frédéric Chanu starts singing a bewildering ode to joy on a melancholy tone verging on detachment, making heavy clanks all the while. As for “The Ocean,” “C’était l’histoire” and other excerpts from L’Enfant de la liberté, they belong in the register of intimate folk, with songs recorded in secondary school (with twelve-to-eighteen-year-old kids), originally written as an exercise in French rather than in music.

Other pieces more directly resulted from experiments in “concrete” or “electronic” music, ranging from the rudimentary manipulations in “Voix, percussions ou cithare à l’envers” to the fragile balance reached in “Voix, larsen et percussions,” a set of sounds so minimal that one can still wonder at the existence of adults wise enough to consider them as musical expressions worth publishing. As Jean-Louis Maudrin remarked back then, in this elementary process “a single recorded noise can spark off hours of eternally renewed creation. It challenges aesthetic criteria, you cannot tell if what you hear is beautiful or not, if you like it or not. Children are faced with the unheard… a new world where nothing can make you fail.”[9]

In a similar spirit, “Hiroshima” is actually the work of a junior high school pupil who, having received an amp as a Christmas present, plugged his electric guitar onto it and started playing something very different from any rock n’ roll standard: “I began with sound tests: Larsen effect, making noise with marbles and pinches, and then I had the idea to make something OK with all this. So, I recorded all my experiments and assembled them in a row. I didn’t add any sound after editing the tape. I was happy. It was an experiment with sounds. We listened to it in class and sent it to our penfriends in Vizille. They answered us and as I’d asked them for a title, they suggested “Hiroshima.” I listened to it once more and found the title relevant. I didn’t make any change.”[10] In the end, it featured on so many ICEM records that it became one of its most often compiled tracks.

A small selection of a-capella tracks was also essential to remind the major part played by “free singing”, with voice as the “original instrument.” Offering an excerpt from “Recherches sur la voix” and the beautiful proto-punk babble-like glossolalia of “Français,” we invite the curious to complete this selection with a listening of the original records.

A few instrumental, percussive or modal tracks – some of which were originally destined to accompany theatrical dances (“Les Monstres”) – complete this overview, the poetry of which sometimes has a touch of the “nouvelle vague” (“Se glisser dans ton ombre”). It should be noted, to conclude, that another version of these pieces was actually the work of adults having adhered to a group of student teachers who had “no musical training whatsoever” and wanted to experiment as well.

Considered as a whole, this corpus remains in many ways strikingly singular. Firstly, because of the quantity published: if other schools occasionally released records that were stylistically close, the ICEM worked with a consistency that made their project truly extraordinary. Secondly, because this work was done ahead of its time: it was only in the mid-1970s that similar practices became more common in the state educational system. These unique archives document what music by and for children can or could be when the record is used as an object completely freed from the qualitative filters inherently structuring music industry.

Unfortunately, as Célestin Freinet died in 1966, he did not have the opportunity to appreciate all the musical developments that sprang from the joyful upheaval he caused. Such innovating practices are still defended in today’s ICEM by the work group Pratiques sonores et musicales, whose members engage in the task undertaken by their pioneering predecessors. Giving a detailed overview of the work done by the ICEM commission for music, an article recently published in Nouvel Éducateur emphasised how “exceptional all this was: nowhere else in the world was anything similar accomplished and carried on for three decades.”[11] May this record testify to this work and contribute to the sharing of such treasures with a new generation of listeners.

[1] Created in 1909 by the French government, these classes were meant for “children with an intellectual disability”, as stipulated in the 1964 official instructions.

[2] BT 383, La Musique naturelle, November 12, 1957, Institut Coopératif de l’École Moderne.

[3] BT53: Le Son, 1er novembre 1959, Institut Coopératif de l’École Moderne.

[4] Jean-Pierre Lignon, Paul Delbasty, Jean-Louis Maudrin, Aniouta Pitoëff, Michel Barre, Paul Le Bohec or Michel Edouard Bertrand. The issue also mentioned Bernard Gosselin’s work on lute-making. Bernard Gosselin would later contribute to the creation of a major source regarding how to build “wild” instruments.

[5] Vocal piece by Karlheinz Stockhausen, for six singers and six microphones, created January 9th, 1968, at the Maison de la Radio. 

[6] C. Freinet and P. Delbasty, L’Educateur n°10, supplement to L’Education musicale n° 20, September 15, 1965, p.5

[7] C. Freinet, “Méthode naturelle d’expression musicale,” L’Éducateur n° 14, April 15, 1952, p.431.

[8] Dubuffet, who had focused on child drawing before working for the recognition of “the art of the mad,” became a neighbour of the historical Freinet school as he moved in the small town of Vence in 1955.

[9] Jean-Louis Maudrin, “Notre disque : Musiques concrètes,” Art enfantin et Créations n°71, March-April 1974.

[10] Lionel Tasquier, Art enfantin et Créations n°67, May-June 1973.

[11] Georges Herinx, “Dans les archives de la commission musique,” Le Nouvel éducateur, n° 166, February 2005.