English text Below
Star Feminine Band : un premier aller et puis le retour
Produire un disque, ça peut être une aventure. Le faire avec des jeunes filles originaires du Nord-Ouest du Bénin, cela relève de la gageure. C’est ce premier défi qu’a relevé Born Bad, pas franchement un label dans le genre world music, en publiant à la fin 2020 le premier album du Star Féminine Band. Concert de louanges, tout le toutim, et patatras : annulée pour cause de Covid la tournée qui aurait dû concrétiser en direct tous les espoirs placés par le groupe et son entourage. La pandémie n’aura néanmoins pas eu raison de leur doux désir de les voir sur les scènes européennes. Un an plus tard, le combo sera de nouveau sur l’affiche des Transmusicales, point d’orgue d’une première tournée malgré toutes les galères et péripéties.
« Cela n’a pas été facile comme c’était la première fois pour les formalités. » Autodésigné « papa du groupe » (deux de ses filles en font partie et il en fut à l’initiative dès 2016), l’auteur-compositeur André Balaguemon décrit par ce délicat euphémisme le parcours d’obstacles qu’il a fallu franchir pour atterrir en France. « Il fallait que l’on se déplace tous de Natitingou, notre ville au Nord-Ouest, à Cotonou la capitale où l’ambassade centralise les demandes de visa. Chacune avait son dossier. » Et c’est ainsi qu’à commencé le périple, plusieurs allers, tant de retours, à chaque fois trente heures de bus pour ces gamines dont la plus jeune, la batteuse Angélique, a fêté ses douze ans en mars 2022 et l’aînée a tout juste dix-huit printemps.
« Partir revenir, partir revenir… On en a fait des navettes avant que cela aboutisse. » Et ce même si JB avait fait en sorte que toutes aient des cartes d’identité et passeports en bonne et due forme et des vaccins à jour, avant même d’envisager la première tournée. « C’était la condition sine qua none pour envisager séduire un tourneur européen. Ces jeunes filles n’avaient même pas d’état civil au début de l’aventure » Lequel ajoute a posteriori, mi-lucide, mi-acide : « Tout le monde avait envie de les faire jouer. Mais une fois le dossier envoyé, quarante-huit heures après, jaugeant le parcours administratif, tout le monde se défilait. » Tous sauf Bernard et Geneviève d’Azimuth face à l’insistance de leur booker Léo Tran qui vont adhérer au projet, avec toutes les conséquences que cela supposait. C’était un pari, mais pour eux cela en valait la peine.
Faire venir des mineures africaines, forcément cela n’est pas gagné, qui plus est en période Covid. « Il leur fallait être vaccinées, sauf qu’au Bénin, les mineurs n’avaient pas accès au vaccin. Et nous ne pouvions même pas avoir recours au motif impérieux, dont la culture ne bénéficiait pas », se souvient Morgane Bois qui sera chargée chez Azimuth de ce dossier du genre épais, à l’image de ceux qu’il lui aura fallu constituer à chaque étape, avec tout un tas d’argumentaires pour rentrer dans les clous de la législation du travail des mineurs, et puis du code du travail la nuit, celle-ci commençant à 20h selon les autorités. CQFD : tout n’était pas simple dans cette histoire. « Administrativement un peu lourd », reprend Morgane. Doux euphémisme. Et une fois avoir bénéficié de laisser-passer, puis débarquées, elles devront encore respecter une période de quarantaine à Juvisy, non loin de Massy, la salle de banlieue parisienne.
Une semaine plus tard, les voilà enfin libres. Enfin presque. Elles devront quand même se soumettre à un test Covid quotidien, et être astreintes à un suivi scolaire avec leurs profs au Bénin par visioconférence, avec certificats en bonne et due forme à l’appui. On ne rigole pas avec ces choses-là, mais toujours est-il qu’une fois remplies toutes ces obligations, le Star Féminine Band était enfin prêt à monter sur scène. Une première dans cette tournée de toutes les premières fois : quitter le Bénin, prendre l’avion, découvrir Paris. « Tout les intriguait ! », renchérit JB, jamais en panne d’une anecdote fleurie. Comme celle où face aux escalators, plusieurs peinent à mettre le pied dessus. Ou quand devant un ascenseur, elles demeurent figées. Sans parler de celle du GPS : « Une voix qui indique la direction, c’était de la science-fiction pour elles. Ma bagnole, c’était l’Enterprise, alors que c’est un pov’ Peugeot Partner. »
Chemin faisant, elles vont donc apprendre les codes de bonne conduite à l’européenne. Assurer un sound-check, affronter la scène, ce n’est finalement pas si difficile quand vous avez essentiellement joué sous le cagnard, avec une électricité défaillante et sans retour. Comme répondre aux interviews, qui s’enchaînent face au phénomène. Les journaux nationaux comme les magazines spécialisés, des radios comme des télés, Arte et TV5, et puis aussi la BBC. « Tant d’intérêt, tant d’interviews, on ne croyait pas à une telle réception. Cela n’arrêtait pas, mais malgré la fatigue elles étaient si contentes de raconter leur histoire. », reprend André Balaguemon.
« Une fois qu’elles ont joué, on a évidemment eu la sensation de la mission accomplie, que toute cette énergie déployée a servi à quelque chose ! » Morgane n’aura pas été la seule à vibrer à l’occasion de cette tournée, un mois où de Massy à Bobigny, de l’opéra de Lyon à L’Usine une salle de Genève, le Star Féminine Band aura mis tout le monde raccord. A commencer par la critique venue en rang serré aux Transmusicales jauger le phénomène sur pied. Ils en sont revenus convaincus, comme le public alpagué par leur formule live et direct. « Dès qu’elles sont montées sur le podium, c’était parti. », s’exclame « papa » André. Et ce fut tout pareil quand il s’est agi pour elles d’enregistrer en studio, encore de l’inédit, comme un ultime défi qu’elles ont relevé par le talent de la jeunesse, grâce au sens de l’écoute de Laurent de Boisgisson du studio One Two Pass It.
Justement, qu’en est-il de la suite des aventures de ces nouvelles ambassadrices de l’Unicef ? Elles persistent et signent dans la même voie, une fiévreuse et énergétique bande-son où les rythmes nabo, peulh, waama sont relevés de rythmiques, épicés de sons plus « modernes », portant un message de tolérance et de bienveillance, avec leurs mots. Simples et directs, ils parlent de leur réalité, des maux de jeunes femmes qui n’ont pas toujours le choix. Souvent déscolarisées et promises à vendre des arachides, des bananes ou du gari sur le bord de la route, la plupart des jeunes filles de la région n’ont guère d’avenir. Les mariages forcés, les grossesses précoces… « Ce sont des héroïnes ces gamines ! », reprend JB, qui en les accueillant en studio leur permet d’affûter leur formule, une forme de garage band relevé de tourneries afro. Grâce au cours d’anglais que Jérémie Verdier, leur manager, prodigue aux filles par visioconférence tous les dimanches soir depuis 2 ans, les filles s’essaient même à des titres en anglais avec « We Are Star Feminine Band » et « Woman Stand Up » In Paris, donc, c’est l’histoire aboutie de ce pari.
C’est aussi le début de nouvelles aventures, la promesse de lendemains qui pourraient bien dézinguer, à l’heure où s’annonce une tournée d’été éclatante: Dour, Les Eurockéennes, Roskilde ou encore Les Nuits de Fourvière. A leur retour au pays, l’accueil a été triomphal. Leurs vidéos tournaient en boucle à la télé, la radio leur a consacré des focus et la chaine nationale béninoise ORTB a même diffusé à plusieurs reprises leur concert filmé pour Arte. Ce groupe d’inconnues est devenu une référence nationale. « Alors cette fois, pour les visas, c’est plus facile. »
Jacques Denis
//////////////////ENGLISH/////////////////
Star Feminine Band: first journey and return
To produce a record can be quite an adventure – to do so with young girls from Northwest Benin is one tall order. Though not exactly a world music label, Born Bad took up the challenge and released Star Féminine Band’s first album in late 2020. Heaps of acclaims and praise and the whole shebang, then boom: the tour that was to materialize, live, all of the band and its entourage’s hopes got cancelled due to Covid. The pandemic didn’t get the better of them, though; with their desire to go up on European stages still very much alive, the combo reappeared on the Transmusicales festival’s line-up just one year later – a highlight of their first tour, regardless of all the hurdles and hiccups.
“The procedure wasn’t as simple as the first time around.” That’s how self-appointed “band dad” (two of his daughters are part of the formation, which he initiated in 2016) and songwriter André Balaguemon euphemistically describes the obstacle course he had to go through in order to have them land in France. “We all had to travel from Natitingou, our town in the Northwest, to Cotonou, the capital, where the embassy centralizes visa procedures. Each of the girls had her personal file for the application.” That’s how the journey began: with many trips there and just as many back, thirty hours on the bus each time. That’s no small feat for these teenagers the youngest of which, the drummer Angélique, celebrated her 12th birthday in March 2022, and the eldest turned 18 this spring.
“There and back and there and back again… We did it countless times before it finally worked out” – and that despite JB having made sure, before even considering the idea of a first tour, that they all had a valid identity card and passport, plus an up to date vaccination card. “It was a sine qua non condition if we were to try winning over any European booker. At the beginning of the adventure these girls didn’t even have a civil status.” To which he adds, sensible though bitter: “Everyone wanted to make them play – but 48 hours after we’d have sent the proposal, sizing up the difficulty of the administrative task, everyone would get cold feet.” Everyone except Azimuth’s Bernard and Geneviève, thanks to their booker Léo Tran’s insistence. They got on board, with all the consequences it presupposed – a gamble, but one they considered was worth it.
Inviting over minor African girls is a long shot, not to mention in full Covid season. “They had to be vaccinated, but in Benin minors didn’t have access to the vaccine. And we couldn’t invoke compelling reasons, culture falling out of that category”, recalls Morgane Bois. She was entrusted with the case file, which wasn’t on the light side – each step involved loads of attestations and certifications to comply with legislations regarding the employment of minors and night work – night-time beginning at 8pm according to the relevant authorities. Conclusion: the story was nowhere near simple. “Administratively a bit heavy”, corrects Morgane with a sweet understatement. Then, once admitted and landed, they still had to observe a quarantine in Juvisy, not far from Massy, the Parisian banlieue’s concert hall.
One week later they were free – or almost. They still had to comply with daily Covid testing and a follow-up with their schoolteachers in Benin via videoconference – all that with supporting certificates in due form. These things shouldn’t be taken lightly, but still – with these obligations fulfilled, the Star Féminine Band was definitely ready for the stage. A first in this tour of all of the first times: leaving Benin, taking the plane, discovering Paris… “Everything intrigued them!”, JB adds, never out of flowery anecdotes. Like the time when, in front of the escalator, many struggled to set foot on it. Or when, faced with the elevator, they just stood there, frozen in place. Not to talk about the GPS: “A voice indicating a direction is pure science fiction. My car, to them, was the Enterprise – though it’s just a good old Peugeot Partner.”
Along the way, they learn the codes of good conduct, European style – though doing a sound check or braving the stage isn’t all that difficult when you’ve essentially played under the scorching sun, with faltering electricity and no feedback. Nor is partaking in unceasing interviews: national newspapers, specialized magazines, radios and TV stations, Arte and TV5, then the BBC… André Balaguemon carries on: “So much interest, so many interviews – we didn’t expect such a reception. It just kept going, but regardless of the fatigue they were really happy to tell their story.”
“Once they played, we clearly had a “mission accomplished” feeling – that all the energy put into this was worth it!” And Morgane wasn’t the only one to feel the buzz during the tour, a month spent between Massy and Bobigny, Lyon’s opera and Geneva’s L’Usine, during which the Star Féminine Band put everyone on the same page – starting with the critics who abounded at the Transmusicales to weigh the phenomenon. They left convinced, just like the audience, enthralled by the direct, live formula. “As soon as they got up on the podium it was game on”, says “daddy” André. All the same when they had to record in the studio – a whole new thing too, like a final challenge they rose to with youth’s talent, thanks to the listening skills of Laurent Boisgisson from One Two Pass It studio.
The sequel to the adventures of these new ambassadors for Unicef? They persist and sign with a feverish and energetic soundtrack in which nabo, peulh and waama are enlivened with drum lines and spiced up with more “modern” sounds, spreading words of tolerance and kindness. Simple and direct, they speak of their reality, of the ills of young women who don’t always have a choice. Often out of school and destined to selling peanuts, bananas or gari on the roadside, most of the girls around there don’t have a future. Forced marriage, precocious pregnancies… “These kids are heroines!”, continues JB who, by welcoming them in a record studio, allowed for the formula to be sharpened into a sort of garage band with an afro twist. Thanks to the English lessons that their manager Jérémie Verdier has been providing every Sunday night for two years over videoconference, the girls even experimented with English lyrics in “We Are Star Feminine Band” and “Woman Stand Up”. In Paris is the happy outcome of that challenge.
It’s also the beginning of new adventures, the promise of killer tomorrows with a blazing summer tour in prospect: Dour, Les Eurockéennes, Roskilde, Les Nuits de Fourvière… The return home was triumphant: their videos played non-stop on television, there were focuses on the radio, and the ORTB – the national Beninese channel – even broadcasted a concert filmed for Arte a few times. This band of unknown girls became a national reference. “So this time, for visas, it’s easier.”
Jacques Denis